20 mars 2022
Emmanuel Tourpe
Que notre conscience environnementale rejoigne notre conscience bioéthique
Emmanuel Tourpe, philosophe, enseignant, homme de médias, apporte ici des critères de discernement dans le vaste champ de la bioéthique. Il s'interroge sur la raison pour laquelle les États mettent en place des lois fort éloignées du respect des personnes, tel que la vision chrétienne du monde le prévoit. C'est que la bioéthique ne peut pas être seulement un échange rationnel: avant l'exercice de l'argumentation rationnelle, l'humanité se trouve devant des "indécidables", des données relatives à la vie humaine et à la création que l'être humain découvre avant tout au fond de son cœur et qui présentent une valeur fondamentale, intouchable, -- par exemple considérer que l'être humain est la finalité de la création. La raison va se former pour décoder ce que la nature lui enseigne; en même temps, l'action s'inscrit dans un processus de discernement qui implique une conversion: au sens de la création, à la personne, à la compréhension profonde de l'Esprit qui préside à la création. Conversion et formation sont les deux mamelles de la bioéthique.
En présentant deux facettes incontournables de la bioéthique, notre invité décrit deux mondes qui s'affrontent. D'abord, il souligne l'importance d'éviter une fausse empathie et d'entrer dans une vraie compassion. Quand nous voulons défendre la vie, il faut nous mettre à l'écoute de ces souffrances monumentales qui marquent l'existence par exemple des enfants avec un handicap ou des jeunes femmes qui portent un enfant, fruit d'une agression sexuelle. Et, avec la psychologie, la spiritualité chrétienne nous montre que si la souffrance peut être soulagée, elle est aussi incontournable. Il est une fausse empathie, qui considérerait que toute souffrance est absurde. Nous regardons la Croix et y trouvons le sens de nos souffrances, de nos limites, de nos privations, de nos manques; il est des deuils, des manques, des souffrances, qui nous construisent.
Ensuite, il faut faire la différence entre la tyrannie de la raison technocratique et le vrai pouvoir de la raison. René Descartes a eu l'intuition selon laquelle l'être humain doit par sa raison se rendre maître de la nature. Il s'en est suivi tout un courant qui a voulu connaître toutes les lois de la nature pour pouvoir la forcer, la faire plier, l'asservir. Nous ne devons pas pour autant nous débarrasser de toute raison. Mais notre raison trouve son exercice harmonieux par une attitude de respect envers la finalité interne de la nature. Au sens philosophique du terme, la nature est ce qui est né avec; nous sommes dans un Noël permanent, qui fait découvrir le sens, la finalité des choses. La raison ne peut s'arroger tous les droits sur la nature, la raison humaine peut comprendre les lois de la nature pour augmenter les capacités de l'humain à se protéger et se défendre en harmonie avec la nature. Cloner du génome humain sur du génome de porc, c'est effectuer des mutations génétiques qui vont contre le sens de l'homme. Il n'est pas bon que notre connaissance du fonctionnement du corps de la femme conduise à implanter des embryons dans le corps d'une autre femme. Le respect de l'embryon, le respect de la finalité du corps de la femme sont des "indécidables" que nous ne pouvons contourner.
Ainsi, notre invité termine son interview en appelant notre conscience environnementale à rejoindre notre conscience bioéthique. Les mêmes principes de respect de la nature, des personnes et du genre humain, devraient s'appliquer aux questions bioéthiques.
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