Le rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église) a été remis publiquement par son président Jean-Marc Sauvé, ce mardi 5 octobre lors d'une conférence de presse à Paris. Il est disponible en libre téléchargement sans sa version intégrale, ainsi que ses annexes, et dans sa version résumée.
La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) a été créée à l’initiative de l’Église catholique en France avec quatre missions :
1/ faire la lumière sur les violences sexuelles en son sein depuis 1950 ;
2/ examiner comment ces affaires ont été ou non traitées ;
3/ évaluer les mesures prises par l’Église pour faire face à ce fléau ;
4/ faire toute recommandation utile.
La commission a été composée par son seul président, sans aucune interférence extérieure. Elle a réuni des femmes et des hommes connus pour leurs compétences et leur impartialité, de toutes opinions et confessions. Elle a fixé seule son programme de travail et disposé librement d’un budget qui n’était
pas plafonné. Elle a accédé, comme elle le souhaitait, aux archives de l’Église.
Pour s’acquitter de sa mission, elle a consulté tous les experts qui pouvaient l’éclairer et elle a passé plusieurs contrats de recherche pour nourrir un état des
lieux aussi complet que possible, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif.
La commission a entendu placer les victimes au cœur de ses travaux. Ses membres ont écouté de nombreuses personnes ayant subi des agressions, non comme des experts, mais comme des êtres humains acceptant de s’exposer et de se confronter personnellement et ensemble à cette sombre réalité. Par cette plongée, ils ont entendu assumer la part de commune humanité, ici blessée et douloureuse, que nous avons en partage. On ne peut en effet connaître et comprendre le réel tel qu’il est, et en tirer les conséquences, si l’on n’est pas capable de se laisser soi-même toucher par ce que les victimes ont vécu : la souffrance, l’isolement et, souvent, la honte et la culpabilité. Ce vécu a été la matrice du travail de la commission.
Une conviction s’est imposée au fil des mois : les victimes détiennent un savoir unique sur les violences sexuelles et elles seules pouvaient nous y faire accéder pour qu’il puisse être restitué. C’est par conséquent leur parole qui sert de fil directeur au rapport de la commission. Ces personnes étaient victimes, elles sont devenues témoins et, en ce sens, acteurs de la vérité. C’est grâce à elles que ce rapport a été conçu et écrit. C’est aussi pour elles, et pas seulement pour nos mandants, qu’il l’a été. C’est sur cet échange singulier et invisible qu’il a été construit, sans que tout cela ait été aussi clairement pensé à l’avance.
Au demeurant, si la chape de silence recouvrant les forfaits commis a fini par se fissurer, être fracturée et susciter une onde de choc et de soutien dans l’opinion, on le doit au courage des personnes victimes qui, surmontant leurs souffrances, ont pris sur elles, en dépit de multiples obstacles, de dire ce qui
leur était arrivé dans un cercle intime, puis auprès des responsables concernés et enfin à la justice et au public. Sans leur parole, notre société serait encore dans l’ignorance ou le déni de ce qui s’est passé.
Le rapport de la commission est donc imprégné de l’expérience singulière, souvent bouleversante, de la rencontre et de la reconnaissance des personnes ayant subi des violences sexuelles. Ce long cheminement a été éprouvant pour beaucoup de victimes, en ravivant de profondes douleurs : de cela, la commission est intensément consciente. Il n’a pas non plus laissé indemnes ses membres et, plus largement, toutes celles et ceux qui ont travaillé avec la
commission. Ces personnes ont ressenti une profonde charge émotionnelle, elles ont été bouleversées, souvent blessées ou révoltées, et elles sont sorties
de cette traversée à la fois changées et plus soucieuses encore d’être à la hauteur de la confiance reçue.
Au terme de son travail, la commission a dressé un état des lieux des violences sexuelles dans l’Église qui est particulièrement sombre. Le nombre des victimes mineures de clercs, religieux et religieuses dans la population française de plus de 18 ans est en effet estimé à environ 216 000. Si ces violences ont d’abord baissé en valeur absolue et relative jusqu’au début des années 1990, elles ont cessé depuis lors de décroître. L’Église catholique est, hormis les cercles familiaux et amicaux, le milieu où la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée.
Face à ce fléau, l’Église catholique a très longtemps entendu d’abord se protéger en tant qu’institution et elle a manifesté une indifférence complète et même cruelle à l’égard des personnes ayant subi des agressions.
Si, depuis 2000 et, plus encore 2016, elle a pris des décisions importantes pour prévenir les violences sexuelles et les traiter efficacement, ces mesures ont été souvent tardives et inégalement appliquées. Prises en réaction aux évènements, elles sont apparues à la commission comme globalement insuffisantes. Au fil d’un diagnostic serré sur tout ce qui, au sein de l’Église catholique, a pu favoriser les violences sexuelles et faire obstacle à leur traitement efficace, la commission présente 45 recommandations qui couvrent un très large spectre allant de l’accueil et de l’écoute des victimes à la réforme du droit canonique, à la reconnaissance des infractions commises, qu’elles soient ou non prescrites, et à l’indispensable réparation du mal fait. Sans s’élever au-dessus de sa condition, la commission propose des mesures sur les questions de théologie, d’ecclésiologie et de morale sexuelle parce que, dans ces domaines, certaines interprétations ou dénaturations ont, selon elle, favorisé abus et dérives. Elle fait aussi des propositions dans les domaines de la gouvernance de l’Église, de la formation des clercs, de la prévention des abus et de la prise en charge des agresseurs.
Face à tant de drames anciens ou récents, la commission estime qu’il ne peut être question de "tourner la page". L’avenir ne peut se construire sur le déni ou l’enfouissement de ces réalités douloureuses, mais sur leur reconnaissance et leur prise en charge. Il est essentiel de rendre réellement justice aux femmes et aux hommes qui, au sein de l’Église catholique, ont dans leur chair et leur esprit souffert de violences sexuelles. Par conséquent, tout doit être entrepris pour réparer, autant qu’il est possible, le mal qui leur a été fait et les aider à se reconstruire. Pour éradiquer aussi le terreau des abus et de leur impunité. Cette démarche ne peut pas éluder une humble reconnaissance de responsabilité de la part des autorités de l’Église pour les fautes et les crimes commis en son sein. Elle implique, à la hauteur de ce mal, un chemin de contrition qui ne peut pas être conçu et parcouru en quelques jours ou semaines.
Après ce qui s’est passé, il ne peut y avoir d’avenir commun sans un travail de vérité, de pardon et de réconciliation, et cela vaut pour l’Église comme pour les institutions civiles. La commission a cherché à contribuer au travail de vérité. C’est à l’Église de s’en emparer et de le poursuivre, afin de retrouver la confiance des chrétiens et le respect de la société française dans laquelle elle a tout son rôle à jouer. Il est impératif de rétablir une alliance qui a été dure ment mise à mal. C’est le vœu qu’avec mes collègues je forme.
Jean-Marc Sauvé, président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église
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