Le gouvernement français ne s’est jamais associé au Dry January. Après un soutien avorté en 2019, l’exécutif s’est toujours montré frileux à soutenir les campagnes de prévention contre l’alcool. Cette année, les acteurs de la lutte contre les addictions sont montés au créneau pour demander la participation des pouvoirs publics. Ils dénoncent notamment le poids des lobbies.
“Le message est contradictoire” regrette Yana Dimitrova, responsable de la prévention à la Ligue contre le cancer. “En termes de santé publique, la prévention contre l’alcool devrait être une priorité après le tabac” ajoute le docteur Bernard Basset, président d’Addictions France. Comme les 48 addictologues qui ont écrit au gouvernement mi-décembre pour lui demander son soutien à l’opération “Dry January”, ces deux acteurs de la santé s’étonnent du manque d’investissement des pouvoirs publics dans la lutte contre les méfaits de l’alcool. Ce dernier en fait pourtant 41 000 chaque année.
“Nous demandons que le défi de janvier fasse partie des grandes campagnes de prévention nationales portées par les instances publiques à l'instar du mois anti-tabac” annonce Yana Dimitrova. “Cela envoie un message aux familles et aux jeunes” précise-t-elle. À l'initiative notamment du Dr Bernard Basset, les addictologues qui se sont fendus d’une missive au ministère de la Santé regrettent dans leur courrier que "la confiance envers le gouvernement pour mener une politique cohérente et résolue [soit] sérieusement altérée".
L’histoire aurait pourtant pu bien commencer puisqu’en 2019, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, ainsi que Santé Publique France étaient disposées à soutenir l’initiative importée du Royaume-Uni. “La campagne, « Janvier 0 degré », devait débuter en janvier 2020 et bénéficier de relais télé et d’affichage” se souvient le médecin Jean-Michel Delile. “Sauf que quelques jours avant le lancement, Santé Publique France me téléphone pour m’annoncer que les pouvoirs publics venaient de mettre leur veto” raconte-t-il.
Jean-Michel Delile et ses collègues vont tout de même obtenir les droits et importer le “Dry January” en France avec un succès qui grandit chaque année. Le retrait du gouvernement a finalement permis de faire de la publicité médiatique gratuite à l'opération, estime celui qui est aussi président de la Fédération Addictions.
Nonobstant, la réussite de l’opération, le gouvernement ne s’est jamais rallié à l’initiative. Pis, en juillet 2023, la cellule investigation de Radio France révélait que plusieurs campagnes de prévention contre l’alcoolisme ont été enterrées en 2023. “L’une portait sur les débordements qui ont lieu lors de la 3e mi-temps de match de rugby et devait être diffusée pendant la Coupe du Monde de rugby qui a eu lieu en France à l’automne” évoque Bernard Basset qui est aussi spécialiste en santé publique. Une campagne deuxième avait pour slogan "Quand on boit des coups, notre santé prend des coups". Les visuels ont été créés, mais ni les écrans de télévision, ni les panneaux d’affichage n’en ont vu la couleur.
Comment expliquer cette frilosité du gouvernement ? Sur France Inter, le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau a assuré préférer "la mesure et la modération plutôt que l'interdiction, l'injonction permanente". “Il y a une manière de vivre qu’il faut respecter et je préfère une incitation sympathique qui reconnaît la valeur de nos terroirs viticoles plutôt que l’interdiction” plaidait le ministre mi-décembre.
Cet appel au respect du terroir est loin d’être anodin pour comprendre l’attitude du gouvernement. En 2018 Emmanuel Macron avait confié boire de l'alcool "midi et soir”. Un moyen de se poser en défenseur d'une certaine ruralité. “À un moment où notre pays s’interroge beaucoup sur son identité, certains acteurs politiques s’attachent à montrer qu’ils sont inscrits dans une tradition culturelle française” analyse Jean-Michel Delile. Or l’alcool et en particulier le vin s'inscrivent dans cet héritage culturel français.
Mais au-delà de ce symbolisme politique, c'est le poids des lobbies qui inquiète les défenseurs du Dry January. En 2019, lorsque Santé Publique France fait volte-face pour soutenir la campagne naissante, "c’était consécutif à une rencontre en Champagne d’Emmanuel Macron avec des producteurs de la filière [Ndlr : le syndicat des vignerons de la Champagne]” témoigne Jean-Michel Delile. Après cette rencontre, le président du syndicat avait assuré que le chef de l’État avait été “sensible à [ses] arguments". “Il a dit qu’il n’y aurait pas de mois sec, de mois sans alcool " ajoutait le représentant.
Il y a une pression considérable du lobby du secteur économique de l’alcool sur les pouvoirs publics
Dans la même veine, Bernard Basset évoque cette campagne de janvier 2023 menée par Santé Publique France : “La bonne santé n’a rien à voir avec l’alcool”. “Elle a provoqué la colère du lobby viticole et c’est probablement cet épisode qui a amené l’annulation des campagnes suivantes” décrypte le médecin. Le lobby Vin et Société a envoyé en janvier 2023 un courrier à Emmanuel Macron pour lui faire part de sa “stupéfaction” devant cette campagne de Santé Publique France. Il dénonce le ciblage “des moments de convivialité des Français.
“Il y a une pression considérable du lobby du secteur économique de l’alcool sur les pouvoirs publics pour éviter de faire de la prévention efficace” critique de son côté le président d’Addictions France. “Il ne faut surtout pas parler des liens entre consommation d’alcool et maladies type cancer” ajoute-t-il.
Concernant “Dry January”, Vin et sociétés plaide publiquement pour une politique de modération. L’organisation regroupe 500 000 acteurs de la filière. Contactée par nos soins, elle déclare : “Si nous respectons tous ceux et toutes celles qui font le « Dry January » à titre personnel, la filière de la vigne et du vin considère que c’est un modèle inadapté à la réalité de la consommation française. Nous avons donc une position très simple : oui à la modération toute l’année, non à l’abstinence en janvier. En effet, le Dry January s’inscrit dans une logique du tout ou rien, qui ne permet pas de proposer un modèle de consommation clair, stable, compréhensible, avec des repères concrets”.
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