L’infertilité est devenue un enjeu de santé publique. Emmanuel Macron veut construire un grand plan pour lutter contre ce qu’il qualifie de “fléau”. Un mal qui augmente et qui trouve sa source dans nos évolutions sociales, mais aussi dans notre environnement. Par chance, un plan existe déjà pour le gouvernement. Un rapport avec une stratégie nationale a été rendu en 2022. Les spécialistes attendaient que l’exécutif s’en saisisse.
“L’infertilité, masculine comme féminine, a beaucoup progressé ces dernières années” a assuré Emmanuel Macron lors de sa grande conférence de presse du 16 janvier. Le chef de l’État veut un grand plan de lutte contre ce “fléau” pour permettre le “réarmement démographique” de la France.
L’OMS parle d'infertilité pour des couples qui n'ont pas réussi à obtenir une grossesse au bout d'un an ou plus de rapports réguliers sans contraception. Pour les hommes comme pour les femmes, les chiffres de l’infertilité augmentent. L'OMS estime qu'une personne sur six dans le monde est infertile. En France, un rapport de 2022 analyse que sur 15 millions d'adultes âgés de 20 à 49 ans qui ont déjà essayé d'avoir un enfant, 3,3 millions de femmes et d'hommes ont rencontré des problèmes d'infertilité.
Dans votre vie quotidienne, vous êtes exposés à une centaine de perturbateurs endocrinien
Le besoin d’un plan pour régler un problème de santé publique existe donc bien. En revanche, dans son discours, le président ne s’est pas attardé sur les causes de l’augmentation de cette infertilité, qui sont pourtant essentielles pour établir une stratégie nationale.
L’exposition à la pollution atmosphérique, aux métaux lourds et aux perturbateurs endocriniens sont notamment des facteurs qui expliquent la hausse de l’infertilité. C’est même “la cause majeure” selon Daniel Vaiman, directeur de recherche Inserm et responsable de l’équipe “Des gamètes à la naissance” à l’Institut Cochin de Paris.
“Les perturbateurs endocriniens sont des molécules chimiques générées par la chimie du carbone, qui vont avoir la particularité de ressembler à des hormones. Or s’ils rentrent de l’organisme, ils vont agir sur les récepteurs hormonaux et entraîner des réponses inadéquates dans notre organisme” développe-t-il. De plus, explique le chercheur, “la plupart de ces perturbateurs endocriniens sont proches d’hormones féminisantes et vont avoir tendance à bloquer les récepteurs mâles”. Les études montrent une diminution progressive de la quantité et de la qualité du sperme.
L’âge est de très loin le facteur majeur d’infertilité chez la femme
“Dans votre vie quotidienne, vous êtes exposés à une centaine de perturbateurs endocriniens” expose le professeur Samir Hamamah, chef du service de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier. En cas d’infertilité, le médecin va se pencher “sur votre shampoing, votre rouge à lèvre ou votre fond de teint” mais aussi sur votre lieu d’habitation pour voir “s’il n’y a pas de déchetterie, d’usine de pétrochimie ou de l’agriculture intensive avec des métaux lourds et des pesticides à proximité”. “Tous ces produits, porteurs de perturbateurs endocriniens, attaquent à n’importe quel âge de la vie” résume le professeur.
À ces causes environnementales, s'ajoutent les mutations sociétales de ces dernières décennies. “Les femmes font des études de plus en plus longues et le temps qu’elles terminent leurs formations, qu’elles trouvent le travail auquel elles aspirent légitimement, leur fertilité sera altérée” explique Samir Hamamah. Ainsi, l’âge moyen du premier enfant en France a doucement dépassé les 30 ans quand il était encore de 24 ans dans les années 70. “L’âge est de très loin le facteur majeur d’infertilité chez la femme” abonde Daniel Vaiman. “En moyenne, la courbe de production d’ovocytes chez la femme diminue doucement depuis la puberté jusqu’à l’âge de 35 ans, mais il y a ensuite une chute très brutale”. La cause principale n’est donc pas la même chez l’homme et chez la femme.
D'autres causes médicales peuvent également agir sur la fertilité. L’obésité par exemple. “Le tissu adipeux va libérer des molécules inflammatoires qui vont toucher les organes et la fertilité est moins bonne chez les hommes et les femmes en surpoids” détaille le chercheur de l’Inserm. Or, selon l’institut, 47,3 % des adultes français seraient obèses ou en surpoids, tandis que l’OMS assure que le nombre de cas d’obésité a presque triplé dans le monde depuis 1975. À cela s'ajoutent, certaines pathologies pour les femmes comme le syndrome des ovaires polykystiques ou encore l’endométriose. “Aujourd’hui nous mettons 4 à 12 ans pour diagnostiquer l’endométriose” regrette le Pr Hamamah. Une stratégie nationale de lutte contre cette maladie a été lancée en 2022 et le scientifique recommande d’y intégrer la question de l’infertilité. “Plus tôt, on détecte la maladie, mieux on propose la prise en charge thérapeutique” plaide-t-il.
Avec Salomé Berlioux, directrice générale de l’association Chemins d’Avenirs, Samir Hamamah, a fourni un rapport de 137 pages au gouvernement en février 2022, développant les causes de l’infertilité et dessinant déjà une stratégie nationale en six axes. Une solution clé en main pour le gouvernement. Le rapport insiste notamment sur l’information et l’éducation. “Il faut sortir l’infertilité de son isolement” défend le Pr Hamamah. “Il y a une journée pour sensibiliser la population sur le tabac, le diabète, l’obésité, pourquoi n’existe-t-il pas le même genre de journée pour l’infertilité ?” s’interroge-t-il.
Les gens ont encore des idées reçues sur l’infertilité
“Il faut mettre en place une information de base” abonde Virginie Rio, présidente et cofondatrice du Collectif Bamp !, une association qui accompagne les couples touchés par l’infertilité. “Les gens ont encore des idées reçues sur l’infertilité” assure-t-elle. Dans l’association, elle reçoit parfois des gens “de 30 ans ou 40 ans qui découvrent que lorsqu’on arrête la pilule, on ne tombe pas directement enceinte ou que l’assistance médicale à la procréation (AMP) est longue, laborieuse et pas toujours couronnée de succès”.
“Une bonne information peut éclairer sur l’impact d’un téléphone portable dans la poche, d’une barquette en plastique au micro-onde, de l’utilisation intensive du vélo, de l’alcool, du tabac, du manque de sommeil, et même du rouge à lèvres et ses perturbateurs endocriniens sur notre reproduction" liste Samir Hamamah.
Au risque de se mettre le monde de l’agroalimentaire à dos, le scientifique demande également la création d'un logo reprotoxique sur les produits alimentaires, à l’image du Nutri-Score, mais qui indiquerait les substances nocives pour la reproduction.
Le rapport plaide aussi pour banaliser une consultation à 30 ans ou moins pour faire un état des lieux de sa santé reproductive. Une piste étudiée par le gouvernement qui a laissé fuiter la possibilité que le futur plan intègre un bilan de fertilité pour les hommes et les femmes dès 25 ans.
Autre recommandation : la création d’un "Institut national de la fertilité", à l’image des centres sur le cancer, afin de réunir tous les spécialistes de différentes disciplines. Et cela doit s’accompagner d’une meilleure formation des professionnels de santé sur la question de l’infertilité. “Lorsque vous vous spécialisez dans autre chose que la gynéco-obstétrique et l'infertilité, vous pouvez méconnaître le sujet” explique Virginie Rio. “Il y a des risques de pertes de chance lorsqu’un médecin assure à un couple qui fait face à des problèmes de fertilité qu’ils sont jeunes et qu’ils ont le temps” prévient-elle. Les scientifiques comme la société civile plaident donc pour une sensibilisation et une formation des médecins spécifique sur l'infertilité.
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