Les engagements se sont multipliés en deux semaines de négociations à la COP 26 de Glasgow. La question est maintenant de savoir comment les États respectent leurs engagements ? Et surtout quels, sont les outils à notre disposition pour évaluer ces engagements ? Grâce aux nouvelles technologies, l’ère de la surveillance climatique se construit doucement.
En deux semaines, deux coalitions d’une centaine d'États se sont engagées à mettre un terme à la déforestation et à réduire de 30% au moins les émissions de méthane, le tout d’ici 2030. Dans le cadre de cette COP, 150 pays, représentant 80 % des émissions mondiales, ont déposé de nouveaux plans climatiques auprès de l’ONU pour réduire leurs émissions de carbone. On retiendra notamment l’Inde qui vise maintenant la neutralité carbone d’ici 2070.
Ce qui fait foi dans les COP, c’est uniquement ce que les États rapportent
Première question : que représentent ces plans et comment les évaluer ? Il existe des outils et des organisations qui s’occupent de comparer les engagements des États par rapport à l’objectif des 1,5 degrés. “On part de l’information fournie par les États eux-mêmes” explique Marie-Camille Attard, analyste de politiques climatiques au sein de l’ONG du Climate Action Tracker. “Les pays sont tenus de soumettre à la Convention pour le changement climatique des Nations Unies (CCNUCC), les objectifs qu’ils veulent mettre en place. Ce sont les Contributions déterminées au niveau national (CDN). Ils sont également tenus de rapporter leurs émissions via l’UNFCCC de l’ONU (the United Nations Framework Convention on Climate Change), mais aussi leurs émissions historiques et leurs projections d’émissions selon leurs politiques climatiques” résume Marie-Camille Attard.
La comparaison avec les émissions historiques permet de mettre en perspective les promesses des États et d’adopter un regard critique sur les engagements pris par chacun. Les classements de politiques climatiques, comme ceux du Climate Action Tracker sont donc accessibles à tous sur le web.
Maintenant, la question est de savoir d'où viennent les données utilisées pour construire ces politiques climatiques et pour évaluer le respect des engagements ? “Ce qui fait foi dans les COP, c’est uniquement ce que les États rapportent” explique Philippe Ciais, directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE). “Avec leurs agences d’inventaires, ce sont les pays qui font les chiffres officiels. Ils reposent surtout sur les statistiques d’utilisation des énergies fossiles”. Nous avons aujourd’hui des chiffres qui s’appuient ne sont pas mesurer directement scientifiquement. Pour avoir une vision globale, la feuille excel est plus efficace que la mesure de CO² prise par un capteur à un instant donné.
Sauf que “c’est assez difficile de vérifier ces chiffres” pointe Philippe Ciais. En novembre, une enquête du Washington Post pointait justement que les promesses climatiques des États étaient construites sur des données imparfaites et imprécises. Avec un postulat de départ bancal, c’est donc toutes les politiques climatiques qui sont branlantes.
Pourtant certains outils existent aujourd’hui pour produire des données indépendantes, des données prélevées à la source qui ne reposent pas sur des statistiques. Ces outils sont en cours de développement. On retrouve par exemple “des instruments qui vont mesurer tous les composants de l'atmosphère, c’est de la spectrométrie" explique Thomas Lauvaux qui travaille justement sur les méthodes de mesures des échanges de carbone au niveau des villes au sein du LSCE. “On utilise aussi des outils de modélisation qui sont issus de la météorologie et qui nous permettent de modéliser l'atmosphère pour réaliser des modèles complets en 3D. On va ainsi pouvoir détailler le panache présent au-dessus d’une ville”.
Ces capteurs peuvent notamment permettre de localiser la zone d’une émission de carbone. “Si on détecte une anomalie, un pic en CO², à un point de mesure, on va regarder la direction et la vitesse du vent et on va ainsi pouvoir remonter à la source. Si on applique ce processus sur un capteur, on peut avoir une idée sur une usine ou un point source, mais si on l’applique à plusieurs capteurs, on peut alors trianguler les différentes sources, enfin avec une dizaine de stations, on peut même parvenir à faire de la cartographie des émissions”. Depuis 2019, ce type d’outils est par exemple testé autour de la ville de Paris pour évaluer les plans climats, car ces balises peuvent donc être très efficaces pour essayer de construire une politique climatique et repérer les zones où agir, les entreprises à cibler ou les industries à réguler.
La limite, c’est que ces technologies s’avèrent utiles si elles sont utilisées en assez grand nombre. De plus, elles sont davantage adaptées à l’échelle locale que nationale voire mondiale. Si on veut desserrer la focale : on peut remonter au niveau satellitaire. Depuis l’espace, on peut en effet surveiller la mise en place de certaines politiques climatiques. “Nous utilisons l’information en provenance de l’imagerie satellitaire” explique Antoine Halff, cofondateur de l’entreprise Kayrros, pionnière en la matière, fondée dans la deuxième moitié des années 2010. Elle travaille notamment avec les satellites de la constellation Copernicus appartenant à l’Agence spatiale européenne mais aussi certains outils de la NASA ou de compagnies privées. “Il y a des satellites qui nous fournissent des images, d’autres qui détectent certaines émissions, d’autres certaines ondes”.
Nous sommes très surpris du nombre de fuites de méthane que nous détectons
L’imagerie et la spectrométrie sont notamment très efficaces pour traquer les fuites de méthane. Aujourd'hui, il est responsable de 25% du réchauffement climatique et son potentiel de réchauffement est bien plus élevé que celui du CO2. La COP 26 a décidé de s’attaquer au problème, or il apparaît que 60% des rejets de ce gaz viennent de l’homme. L’une des pistes faciles pour lutter contre la propagation de ce gaz c’est de traquer les fuites et de les reboucher.
“Nous sommes très surpris du nombre de fuites de méthane que nous détectons” révèle Antoine Halff. “C’est de l’ordre de plusieurs fuites trouvées chaque jour. La dernière semaine d'octobre, nous avons détecté quarante lâchés de méthane. Ils se produisent souvent en Russie, aux États-Unis, mais aussi Turkménistan, de manière totalement disproportionnée par rapport à la place occupée par le pays dans la production mondiale” ajoute-t-il. Ces fuites peuvent être détectées autour des sites industriels de production de pétrole ou de gaz de schistes, mais aussi sur le trajet des gazoducs.
Image du satellite GHGSat montrant des fuites de Méthane au Kirghizistan / AFP PHOTO /GHGSAT SATELLITES
“Lorsqu’on dit “fuite”, on a toujours l’impression que c’est accidentel, mais ce n’est pas vrai” précise Thomas Lauvaux. “Le gaz est cher en prix d’achat, mais il est plutôt bon marché en termes de coûts de production. Lorsqu’un gazoduc à un problème, il est donc plus facile d’ouvrir les vannes pour faire une réparation pendant six heures et puis de refermer, plutôt que d’essayer de mettre en place un système plus compliqué et plus coûteux où il faut arrêter le flux de gaz et le placer dans des conteneurs pour réaliser l’opération de maintenance”. Là encore, en octobre le Washington Post pointait les fuites de méthane autorisées par la Russie.
Il y a donc des outils qui existent, bien qu’ils soient encore en cours de développement. L’objectif est de créer des données sur les questions climatiques, mais la question est maintenant de savoir à qui sont destinées ces données ? L'entreprise Kayrros travaille par exemple directement avec les entreprises “pour organiser une activité de maintenance de leur installation” complète Antoine Halff. “Ces données ont aussi une forte valeur ajoutée pour les investisseurs” ajoute-t-il.
Le groupe discute aussi avec l’Union européenne et va contribuer avec ses données au développement de l’Observatoire international des émissions de méthane qui a été lancé par l’ONU pendant la COP26. Enfin, les principaux intéressés peuvent être directement les États, “pour pouvoir concevoir, mettre en place et exécuter leurs réglementations et au besoin imposer des amendes ou des pénalités aux sociétés qui se rendent coupables de fuites ou d’émissions très importantes” analyse Antoine Halff.
Depuis la création du GIEC, les émissions des pays ont toujours été calculées via un inventaire comptable
Il faut maintenant que ces technologies s’imposent. “Nous ne sommes pas encore au stade de dire que ces réseaux de mesures représentent une vérité sur laquelle les États doivent s’aligner. Les raisons sont historiques. Depuis la création du GIEC, à chaque fois que les émissions des pays ont été calculées, elles venaient toujours d’un inventaire comptable. C’était comme un tableau excel en fait” expose Thomas Lauvaux.
Reste que ces nouveaux outils sont efficaces s’ils sont en nombre. Or, leur développement et leur production coûtent cher. Il faut donc des financements pour ces appareils qui apportent une information objective, mais qui annoncent rarement de bonnes nouvelles climatiques. La dernière question est donc de savoir qui a réellement envie d’avoir un policier du climat ? Les auteurs des politiques climatiques ont rarement envie de s’entendre dire qu’ils n’ont font pas assez. Et les industriels ont rarement envie d’être pointés du doigt.
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