Y aura-t-il un vote en faveur de l’abrogation de la réforme des retraites ? La question va être examinée en commission à partir d’aujourd’hui, à l’Assemblée, mais je vais vous faire une réponse de Normand : ce sera p'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non !
P’têt ben que oui parce que les opposants à la réforme des retraites sont prêts à en débattre jeudi de la semaine prochaine, en séance publique, à l’initiative du groupe Liot - Libertés, indépendants, outre-mer et territoires.
P’têt ben que non parce que la majorité présidentielle est déterminée à faire en sorte qu’il n’y ait pas de vote sur ce sujet dans l’hémicycle ce jour-là. Les partisans de la réforme des retraites redoutent que les députés prennent leur revanche sur le 49.3 qui leur a été imposé à la mi-mars en votant contre le texte. Ça ne veut pas dire que la loi sera abrogée, mais un vote de l’Assemblée contre la réforme constituerait un gros camouflet pour le pouvoir. Une humiliation publique qu’il va essayer d’éviter à tout prix en cherchant une parade juridique, technique ou réglementaire.
En évoquant un article de la Constitution dont on n’a pas encore entendu parler ? Possible. La séquence a permis de faire connaître le 47.1 au grand public, on a beaucoup glosé sur le recours à l’article 40 ces derniers jours, et le règlement de l’Assemblée nationale a sûrement quelques alinéas cachés en réserve qu’essayeront de dégainer les uns et les autres, soit pour créer l’événement, soit pour l’empêcher.
On comprend bien l’idée, mais attention à l’image que ces grandes manœuvres risquent de donner de l’Assemblée et du gouvernement à des citoyens un peu perdus par les escarmouches en cours. Aller au vote risque fort de faire du tort au camp présidentiel, on l’a dit, mais empêcher le vote pourrait, paradoxalement, lui faire plus de mal encore. Le recours à une pirouette en droit pour éviter le débat ne sera pas seulement lu comme la confirmation que le pouvoir n’a pas la majorité sur la question des retraites à l’Assemblée : beaucoup y verront également la preuve que tout le processus de construction de la réforme est à la fois illégitime et "antidémocratique".
Et ce serait pire que de laisser le vote avoir lieu ? C’est mon avis. "Il faut savoir terminer une grève", a dit Maurice Thorez, le secrétaire général du parti communiste en juin 1936, quatre jours après la signature des accords de Matignon sur les congés payés et la semaine de quarante heures. La phrase, tronquée, est souvent citée. La phrase complète de Maurice Thorez était : "Il faut savoir terminer une grève dès que la satisfaction a été obtenue." Mais j’ai moi aussi envie de la paraphraser ce matin en disant qu’il faut savoir perdre un vote.
Puisque le gouvernement est si sûr que la proposition d’abrogation de la réforme des retraites n’a aucune chance d’aller au bout, pourquoi faire des pieds et des mains pour l’étouffer dans l’œuf, au risque de crisper l’opinion et les députés ? La contestation, qui menace de s’essouffler dans la durée, pourrait bien trouver là un nouveau carburant et se relancer. Dans la rue, lors de la prochaine journée de mobilisation, le 6 juin, et au Parlement, avec le possible dépôt d’une nouvelle motion de censure, contre le gouvernement.
Je vous rappelle qu’il n’avait manqué que neuf petites voix, la dernière fois, pour faire tomber le gouvernement d'Élisabeth Borne. C’est peu. Braquer à nouveau les députés n’est peut-être pas la meilleure chose à faire quand on dispose d’une aussi courte marge. Un parlementaire échaudé, ça peut changer d’avis…
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