Le monde orthodoxe est secoué par la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Pourquoi les événements politiques ont-ils autant de répercussions chez nos frères chrétiens, jusqu’à quel point se trouvent-ils divisés ? La confession orthodoxe associe très étroitement religion et nation. Comment réagir, si comme à Moscou, le patriarche russe Kyrill soutient Vladimir Poutine, et affirme que "c’est Dieu qui l’a placé au pouvoir" ? Une émission Je pense donc j'agis présentée par Madeleine Vatel et Melchior Gormand.
Au début de la guerre contre l’Ukraine, le patriarche orthodoxe Kyrill appelait à la paix. Mais quelques temps plus tard, le chef de l’Église russe a changé de discours, soutenant une guerre sainte à mener contre "l’occident dépravé". Aujourd’hui, certains fidèles ne se reconnaissent plus derrière le patriarche, des prêtres refusent de suivre la liturgie et se font exclure. En Ukraine, une partie des orthodoxes ne veut plus marcher derrière des évêques rattachés au patriarcat de Moscou. Quelles sont les conséquences de cette rupture, y a-t-il des pratiques clandestines, dissidentes ? Est-ce un cas de conscience pour les orthodoxes russes ?
Depuis quelques temps, des fidèles du patriarcat de Moscou embarrassés par les propos de Kyrill, quittent les rangs de l’Église orthodoxe russe. "De plus en plus de fidèles orthodoxes parlent d’un nouveau schisme : celui qui les déchire intérieurement comme croyant, et celui qui les pousse à quitter le patriarcat de Moscou. L’Ukraine devient le catalyseur de ce qui se passe ailleurs en Europe", souligne Agnieszka Moniak-Azzopardi, docteur en sciences sociales à L'EHESS et à Sciences Po Paris, et auteur d’une thèse intitulée La Russie orthodoxe.
De plus en plus de fidèles orthodoxes parlent d’un nouveau schisme.
Pour les Russes qui ont quitté leur pays en raison de la guerre, la pratique du culte se trouve modifiée. "Certains passent dans le patriarcat de Constantinople, d’autres cessent de se rendre dans leur église mais prient à la maison, et assistent à la liturgie via les réseaux ou les écrans. C’est très douloureux", précise Agnieszka Moniak-Azzopardi avant d’indiquer que le journal Novaia Gazeta pour lequel travaillait son amie la journaliste Anna Politkovskaia qui a été assassinée, publie les sermons de prêtres orthodoxes qui appellent à la paix et à l’apaisement, et prônent les valeurs de l’Évangile.
Les deux invités, Agnieszka et Nicolas témoignent que des Ukrainiens en France, se tournent parfois même vers des Églises greco-catholiques. Qu’ils soient d'Ukraine ou en Russie, leurs points communs est de refuser l’attitude du chef de l’Église russe qui donne sa bénédiction aux soldats. "En leur répétant par exemple au cours des sermons du 27 février et du 6 mars 2022 peu de temps après le début de l’invasion, ‘vous ne devez avoir aucun doute’, il libère les soldats de toute responsabilité morale", constate celle qui est aussi enseignante à la faculté d’histoire à l’Université Rennes 2 et professeur d'histoire-géographie dans l’enseignement secondaire.
Le monde orthodoxe n’en est pas à sa première division, mais la guerre en Ukraine semble accélérer les différences entre Constantinople et Moscou. Déjà, la reconnaissance par Constantinople de l’Église orthodoxe ukrainienne comme autocéphale, donc indépendante du patriarcat de Moscou en 2018, est une étape significative.
Ne pas prononcer ces mots, c’est très courageux, très peu de prêtres ont vraiment désobéi.
Sur le terrain, quelques prêtres n’ont pas accepté le ton guerrier ajouté dans la liturgie par le patriarche Kirill. Depuis le 25 septembre 2022, le chef de l’Église russe a institué une invocation à prononcer pendant l’office : "Voici que la bataille est engagée contre la Sainte Rus’ pour diviser son peuple indivis. Lève-toi, ô Dieu de la force, afin de le secourir et accorde-nous la victoire par ta puissance". Cette supplique a été rendue obligatoire. "Ne pas prononcer ces mots, c’est très courageux, très peu de prêtres ont vraiment désobéi. La grande majorité du clergé les soutienne en silence", note Nicolas Imbert, doctorant en sociologie - à l’EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes) et spécialiste de l'Ukraine.
Il évoque également les sanctions possibles en s’appuyant sur le cas du théologien Alexeï Ouminski, prêtre antiguerre à Moscou, démis de ses fonctions et poursuivi par la justice du patriarcat. Ce recteur d’une église de Moscou connu pour ses travaux théologiques, s’est prononcé en faveur de la paix. Il a depuis été accueilli par le patriarcat de Constantinople.
L’influence se joue également en dehors de l’Ukraine. En Norvège, l’Église orthodoxe russe investit par exemple dans des bâtiments ou fonde des églises. "De quelle influence s’agit-il, soft power, ou hard power, difficile à dire mais il s’agit de placer ses pions, car ce mouvement s’accélère, et il n’y a pas plus de Russes pratiquants pour lesquels il y aurait besoin de nouvelles églises. Ils sont environ 10.000", relève Agnieszka Moniak-Azzopardi.
Ce qui se passe en ce moment en Russie n’est pas nouveau. L’histoire, et notamment la période communiste, ont montré des liens forts et ambigus avec le pouvoir. L’Église orthodoxe est-elle au service du Kremlin et peut-il en être autrement ? "L’histoire nous montre que les deux sont entremêlés : sous la dictature de Staline, les rites et les cérémonies empruntaient des formes de religiosités. Tandis que l’Eglise célébrait le patriotisme pour mobiliser les jeunes à la guerre en 1941", précise Agnieszka Moniak-Azzopardi, avant d’ajouter que les hauts fonctionnaires de l’Église orthodoxe russes restent des cadres qui ont parfois travaillé pour le KGB. L’actuel patriarche Kyrill agissait dans les années 1970-1980 sous le nom de code "Mikhailov" et avait refusé une demande occidentale pour une étude sur la liberté religieuse en URSS.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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