Le 3 juin, nous recevions en direct Philippe Thillay sur RCF Normandie, président du « Mouvement européen » en Seine-Maritime, un mouvement trans-partisan qui ambitionne de faire mieux connaître les institutions européennes. Dans notre entretien, il déplorait « l'ignorance totale du rôle du Parlement européen » et encourageait les jeunes, notamment les étudiants, à se renseigner sur ses institutions et d'aller voter.
La Constitution européenne actuelle (votée en 2007, surnommée « traité de Lisbonne »), est controversée en France. En 2005, vis-à-vis du référendum français « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe ? », les français avaient répondu « non » à 55%, avec 70% de votants. Pourtant en 2007, le traité de Lisbonne est ratifié, en rupture avec le verdict national, instaurant a priori un rejet des institutions qu'il met en place. Et aujourd'hui
en France, aucun des partis en tête des sondages ne propose de quitter l'UE ou ne présente de contre-modèle de ses institutions. Comment expliquer ce paradoxe ?
Cette réserve de voix s'accumule-t-elle dans l'absentéisme ? Essayons tout d'abord de comprendre ce que sont les « institutions européennes » pour saisir l'enjeu.
Pouvoir législatif : voter et produire la loi, assurer la représentation des citoyens européens
Le Parlement européen est l'équivalent de notre Assemblée Nationale française à l'échelle européenne. Son pouvoir législatif de production de la loi est encadré dans la mesure où il n'est pas à même de modifier les grands traités. Le Parlement a pour charge « d'approuver » le budget, et de voter et d'amender sur les législations proposées à l'initiative exclusive de la Commission européenne. C'est au final la seule instance sur laquelle les citoyens européens votants exercent un pouvoir électif direct. Le Parlement compte 720 députés, dont les places sont subdivisées entre chaque pays en fonction de leur part démographique dans l'UE et de leur rayonnement économique vis-à-vis des autres pays membres. Par exemple, la France élit 81 députés sur les 720. Chaque liste électorale doit posséder autant de candidats que de sièges à pourvoir, et obligatoirement être paritaire en France. Le scrutin de l'élection est proportionnel mais avec un seuil. Si la liste reçoit au moins 5% des suffrages, la liste reçoit le nombre de sièges de députés européens proportionnel à ses résultats. Une liste en dessous des 5% ne reçoit aucun siège. C'est un enjeu de taille pour les petits partis et les partis oscillant dans les sondages autour de ces scores. Dans d'autres pays membres de l'UE, le scrutin est purement proportionnel, et il suffit parfois de 1% pour disposer d'un siège au Parlement.
Le « compromis » au cœur de la politique européenne : la composition du Parlement depuis 2019
Les députés européens siègent en groupes définis non par nationalité mais par leur appartenance à une mouvance politique à l'échelle européenne. Au clivage gauche-droite s'ajoute celui des europhiles, eurosceptiques ou des réformateurs. Si les candidatures des députés européens se définissent dans le cadre national, leur nomination et leur place dans le Parlement se définit sur la base d'un compromis avec les partis d'autres nations mais de la même mouvance politique. Cette idée du « compromis » on la retrouve jusqu'au fondement du fonctionnement institutionnel de l'UE. Les partis nationaux doivent passer aux tamis leurs différents avec les partis qu'ils côtoient au sein de leur groupe européen. L'importance de former un bloc est capitale, puisque le candidat à la présidence de la Commission européenne sera nécessairement issu du parti majoritaire au sein du Parlement. Ledit candidat est ensuite avancé par les chefs d’État des pays membres et doit être approuvé par le Parlement européen. Depuis 1999, c'est le Parti Populaire Européen (qui inclut le parti français « les Républicains ») qui préside à la Commission européenne. Il en est ensuite fait de même pour la fonction de vice-président, avec le second parti, les Socialistes & Démocrates (incluant le PS et « Alliance publique »)
La Commission européenne : monopole de l'initiative
La Commission européenne est l'organe exécutif central de l'UE. Garante de « l'intérêt général » de l'Europe, la Commission possède la majeure partie du pouvoir exécutif, et surtout un « monopole de l'initiative » dans la ratification des traités européens, et la proposition des projets de loi. Pour prendre un exemple : si le Parlement européen possède le pouvoir législatif de voter la loi, le projet de loi initial est uniquement proposé par la Commission européenne, et ne peut pas être proposé à l'initiative du Parlement. La logique de « compromis » au cœur de la formation du Parlement européen ne se duplique pas sur la formation de la Commission européenne. La nomination des commissaires par pays est répartie selon un autre schéma : les candidats sont simplement avancés par Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, puis acceptés par les chefs des États membres (commissaires : 9 PPE, 9 S&D, 4 ALDE, 1 Verts/ALE, 1 ECR et 3 indépendants). À titre d'exemple, on s'étonnera du fait qu'aucun commissaire nommé n'appartienne à la mouvance de la gauche radicale GUE/NGL, alors que quatre commissaires appartiennent à l'ADLE, respectivement avec 52 et 68 sièges. La Commission, avec le PPE à sa tête, est une sorte de tamis qui retient les franges politiques considérées comme plus radicales, généralement eurosceptiques ou tout du moins réformistes, de prendre une part importante dans l'initiative des projets de lois européens. L'UE est un pouvoir centralisé, ce qui explique la difficulté du Mouvement européen à toucher les territoires excentrés des lieux de décision. À de nombreux égards, le citoyen européen peut se sentir déconnecté des enjeux dont se saisit l'UE, mais l'inverse est également vérifiable. Le taux de participation à ces nouvelles élections le 9 juin nous montrera si la mise en avant médiatique de leur enjeu aura une incidence véritable.
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