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En Corse, la colère face au "mépris de l'État"

Un article rédigé par Clara Gabillet - RCF, le 15 mars 2022 - Modifié le 15 mars 2022
Le dossier de la rédactionEn Corse, la colère face au "mépris de l'État"

Deux semaines après son agression en prison, les avocats d’Yvan Colonna vont demander une suspension de sa peine pour "pronostic vital engagé". L'assassin du préfet Claude Érignac est toujours dans le coma. Et la colère ne faiblit pas en Corse. Le week-end passé, environ 10.000 personnes se sont réunies à Bastia pour demander des comptes à l’État. 

Statue de Napoléon sur la place d'Ajaccio, en Corse, France. ©UnsplashStatue de Napoléon sur la place d'Ajaccio, en Corse, France. ©Unsplash

Comme une étincelle qui provoque l’embrasement, cette agression a ravivé des tensions bien anciennes. Yvan Colonna a été violemment agressé par un co-détenu djihadiste le 2 mars dans la prison d’Arles (Bouches-du-Rhône). Aujourd’hui dans le coma, transféré à l’hôpital à Marseille, l’indépendantiste purge une peine de prison à perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude Erignac en 1998 à Ajaccio. Deux autres hommes du commando ont été condamnés : Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, incarcérés en région parisienne. 

 

Le droit du rapprochement

 

Pour beaucoup de Corses, l’agression d’Yvan Colonna par ce détenu djihadiste ne serait pas arrivée s’il avait été transféré dans la prison de Borgo (Haute-Corse). C’est une demande formulée de longue date par sa famille et les citoyens insulaires, mais refusée par l'État. Les trois hommes du commando étaient placés jusqu’alors sous le statut de "détenu particulièrement signalé" (DPS). Et la prison de Borgo n’est pas configurée pour ce type de détenus. Cette impasse est source de colère depuis des années.  

 

"Le droit commun est le droit commun donc n'importe quel détenu, après avoir fait plus des deux tiers de sa peine, est en droit de demander un rapprochement pour finir sa peine dans une prison proche de son lieu d’habitation. Et ce que ne comprenaient pas les insulaires c’est que pour Alain Ferrandi, Pierre Alessandri, et Yvan Colonna, ce droit ne leur était pas autorisé. Ça a été un catalyseur", retrace Thierry Dominici, sociologue, spécialiste du nationalisme corse. 

 

Selon lui, il y a sur l’île, "un sentiment de mépris de l’État, des institutions et de la justice". "L’État, s’il lève le DPS, dans l’imaginaire collectif ce serait une insulte à la famille Erignac. Ça c’est de l’ordre de la morale. Le droit c’est le droit. Ce que réclament les nationalistes et les citoyens insulaires, c’est l’application du droit", poursuit Thierry Dominici. 

 

Une colère toujours vive

 

Le rapprochement est désormais envisageable pour les trois détenus puisque le premier ministre Jean Castex a annoncé la levée du statut de DPS. Yvan Colonna y compris, pourtant toujours dans le coma. Pour les soutiens des indépendantistes, ce statut n’avait plus lieu d’être car leur peine s’est déroulée sans incident. Le gouvernement veut maintenant envoyer un signe d’apaisement. Mais pour beaucoup, c’est déjà trop tard.

 

La colère est toujours vive. Dans un cortège à Corte il y a plusieurs jours, un manifestant est venu exprimer son "mécontentement" face au "manque de respect envers le peuple corse depuis des décennies". Selon cet homme, "c’est la parole du peuple qui compte et c’est pour ça qu’on est tous dehors".

 

Dimanche à Bastia, 12.000 personnes ont défilé selon les organisateurs, derrière la banderole "État français assassin", écrit en corse. 67 personnes ont été blessées, essentiellement dans les forces de l’ordre. Quelques jours plus tôt à Ajaccio, le palais de justice a été en partie incendié. 

 

La jeunesse mobilisée

 

La manifestation de dimanche à Bastia était à l’initiative d’un syndicat étudiant. Ce qui est frappant, ce sont les nombreux jeunes qui prennent part à la mobilisation. Pourtant, certains n’étaient pas nés quand le préfet Erignac a été assassiné. Mais les revendications sont encore plus larges. "On est aussi dans une situation de crise, on sort d’une crise Covid, explique Marie-Antoinette Maupertuis, la présidente de l’Assemblée de Corse qui a rencontré jeudi des représentants de jeunes. Il y a un ensemble d’angoisse et d’anxiété qui se manifestent. Mais ils sont aussi très clairs dans leur tête, ils veulent savoir ce qu’il s’est passé dans cette prison d’Arles."

 

Des jeunes qui n’appartiennent pas du tout à la génération d’Yvan Colonna, âgé de 61 ans. Mais mobilisés face au coût de la vie en Corse, et à un important taux de chômage. L’indépendantiste est devenu aujourd’hui un véritable mythe sur l’île. "Colonna a toujours clamé son innocence. Et le nationalisme s’est unifié derrière son image et a créé un mythe, de rebelle, de résistant. Ce mythe s’installe dans la rue, par le bombage, l’affichage, des manifestations de rue. [...] Pour tous ces jeunes, il incarne surtout la résistance à l'État colonial. Ils sont dans une logique de dénonciation de l’État colonial, parce qu’ils le vivent comme un État colonial", explique Thierry Dominici.

 

Un cycle de discussions avec l'État

 

L’État français tente désormais de faire des gestes d’apaisement comme la levée du statut de "détenu particulièrement signalé" pour les trois détenus. De quoi satisfaire en partie le président du conseil exécutif de Corse Gilles Simeoni et ancien avocat d’Yvan Colonna, qui entrevoit un "rapprochement effectif" avec l’État. 

 

"Les tensions sont vives et je peux comprendre la colère et la douleur de certains face au drame survenu, assure le préfet récemment nommé Amaury de Saint-Quentin. Je comprends moins et je réprouve les violences auxquelles nous avons assisté. Mon souci c’est d’arriver à reconstruire les fils du dialogue, le chemin de l’apaisement qui de mon point de vue sont les seuls moyens de sortir de cette situation de tensions."

 

Le ministre de l’Intérieur arrivera mercredi en Corse et restera jusqu’à jeudi pour un cycle de discussions sur l’avenir institutionnel de la Corse. Le gouvernement dit avoir entendu les demandes des élus. Le président du conseil exécutif de Corse demande l’autonomie de l’île.
 

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