Alors que le mouvement des agriculteurs se poursuit en dépit de premières mesures annoncées par Gabriel Attal et dans l’attente de nouvelles annonces, l’émission Je pense donc j’agis se penche sur cette actualité via le prisme de l’écologie. Pour Marine Lamoureux, journaliste à La Croix L’hebdo et Adrien Louandre, jeune militant chrétien écologiste issu du monde rural, agriculture et écologie ont vocation à se retrouver. À condition que les politiques publiques et l’horizon proposé par les responsables politiques soient cohérents.
La colère persiste dans le monde agricole, comme si elle venait de loin. Comme si pour l'éteindre, il fallait bien plus que quelques mesures techniques. Comme si une réforme en profondeur était nécessaire. Et pour les intervenants de l'émission Je pense donc j'agis sur RCF, c'est une remise à plat qui est nécessaire, avec comme objectif numéro 1, une recherche de cohérence.
Pourquoi les agriculteurs sont-ils en colère ? Pourquoi les mesures annoncées par le Premier Ministre Gabriel Attal n'ont-elles pas éteint cette colère ? Quelles sont les causes des manifestations en cours dans toute la France ? Pour Marine Lamoureux, "il y a une crise existentielle". Selon elle, la colère "couve depuis longtemps et à un moment il y a une cristallisation qui fait que la mobilisation prend". Pour Adrien Louandre, c’est aussi "une question de solitude", face à "un travail difficile où on se lèvre tôt on se couche tard, c’est compliqué d’aller en vacances". Et il ajoute : "il y a une question autour de la dignité du travail".
Lorsque Bernard, un auditeur, intervient pour appeler à "faire un distingo entre les exploitants agricoles et le monde paysan", estimant que "ce ne sont pas les mêmes", les deux intervenants s’accordent sur l’idée que le monde agricole n’est pas monolithique. Pour Marine Lamoureux, "la diversité de l’agriculture est une évidence". Et elle détaille : "on brasse beaucoup autour des petits producteurs qui ont des salaires parfois au-dessous du SMIC, qui n’arrivent pas à vivre de leur travail. Il faut être conscient qu’il y a aussi des grosses exploitations avec des agriculteurs qui gagnent très bien leur vie". Ce que confirme Adrien Louandre, témoignage à l’appui : "je viens d’un territoire en Picardie où il y a énormément de céréaliers et leur chiffre d’affaires c’est six chiffres à l’année".
Tous deux s’accordent sur la nécessité de réorienter les subventions publiques qui représentent une part importante des revenus des paysans. "Pour faire simple, avec la PAC, plus vous êtes gros plus vous avez de subventions" décrypte Adrien Louandre. Et il ajoute : "cela pose question parce que plus vous avez une grosse exploitation, plus ça peut être compliqué d’appliquer les normes environnementales, même si la relation de cause à effet n’est pas systématique". C’est justement une revendication de la Confédération Paysanne, syndicat minoritaire, proche des luttes écologistes : des aides plus ciblées, plus justes et dégressives par actif paysan (et non par hectare). Si habituellement le gouvernement considère la FNSEA comme le porte-parole quasi-exclusif des agriculteurs et en tout cas son interlocuteur naturel, une rencontre devait avoir lieu ce mardi entre le Premier Ministre et les responsables de la Confédération Paysanne.
Pour Adrien Louandre, la prise en compte par le gouvernement du pluralisme syndical au sein du monde agricole est absolument nécessaire : "un ministre doit recevoir tout le monde pour avoir tous les points de vue. Sinon ça tout simplement que c’est la FNSEA qui fait la loi". Un point de vue partagé par Marine Lamoureux qui estime que "même si ce syndicat est minoritaire, il porte une vision d’avenir qui est la place de l’agroécologie dans la transformation des pratiques". Pour elle, même si à court terme il faut tenir compte des contraintes des agriculteurs, "on sait très bien que sur une agriculture intensive on arrive à des impasses : combien de tonnes de pesticides, combien de chimie pour arriver à avoir les mêmes rendements, c’est un système absurde".
Si pour l’instant la voix de la Confédération Paysanne semble être minoritaire au sein du monde agricole français et si les contraintes environnementales font partie des raisons de la colère listées par de nombreux agriculteurs, il est au moins un point sur lequel les écologistes et l’ensemble du monde agricole s’accordent : le rejet du projet de traité de libre-échange ente l’Union européenne et le Mercosur, un projet auquel la France s’oppose mais dont la signature est prévue pour fin février à l’occasion du prochain sommet ministériel de l’Organisation Mondiale du Commerce. Et Adrien Louandre de relever l’inconstance des politiques français sur le sujet : "ce qui me fait rire jaune, c’est que tous les partis, de Renaissance à l’extrême droite, qui prétendent défendre les agriculteurs, ont voté pour le Mercosur au Parlement européen".
Si vous êtes incohérent, comment voulez-vous emmener une population sur des changements couteux à court terme et complexes à mettre en œuvre dans l’immédiat du quotidien ?
Marine Lamoureux voit dans ce manque de cohérence un point de blocage majeur pour construire une politique agricole acceptée par les paysans et adaptée aux enjeux écologiques. Elle explique : "on peut demander aux secteurs économiques de changer, tout le monde est convaincu que la transition écologique doit être menée, que le réchauffement climatique est là, mais si vous êtes incohérent, comment voulez-vous emmener une population sur des changements couteux à court terme et complexes à mettre en œuvre dans l’immédiat du quotidien ?". Pour elle, l’incohérence porte sur le traité UE-MERCOSUR, mais aussi par exemple sur le Green deal : selon elle, les objectifs du Pacte vert européen, "qui sont assez ambitieux en matière écologique pour l’agriculture, ne sont pas forcément en cohérence avec la nouvelle Politique agricole commune". Pour elle, il y a un manque de vision politique.
Le Green deal c’est le projet de la Commission européenne, qui recouvre plus d’une dizaine de textes, visant à transformer profondément l’économie européenne pour arriver à la neutralité carbone en 2050. Avec une étape majeure en 2030 : d’ici à cette date, il est prévu de baisser nos émissions de gaz à effet de serre de moins 55%. Cela passe par la transformation de tous les secteurs économiques, dont l’agriculture, pour laquelle a été élaboré un programme De la ferme à la fourchette. Ce texte prévoyait initialement une baisse de 50% de l’usage des pesticides d’ici à 2030. Autre objectif chiffré : que la part du bio représente 25% dans les parcelles aussi à cette échéance. Mais Marine Lamoureux constate que "petit à petit, malheureusement, ce niveau d’ambition n’a pas été maintenu, notamment parce qu’on est extrêmement ambigu sur la question des pesticides". Une incohérence de plus pour elle. Et même si elle concède qu’on ne peut pas "supprimer les pesticides du jour au lendemain" elle estime qu’on "ne peut pas continuer à faire reposer notre agriculture dessus". Et cela implique de sortir du court-termisme et des calculs électoraux pour proposer une vision politique à long terme.
Les écologistes et les agriculteurs ont vocation à se retrouver.
Car, affirme la journaliste de La Croix l’hebdo, "la question de la neutralité carbone en 2050 ce n’est pas abstrait : c’est la façon dont on va enrayer au maximum les effets du réchauffement climatique, et si on laisse filer les émissions on sait très bien que les conséquences vont être dramatiques sur les agriculteurs comme sur l’ensemble des populations". Et pour elle, "les agriculteurs, c’est la profession en première ligne sur le réchauffement climatique. Nous, on commence à le ressentir, on a des canicules on a des hivers très doux. Mais les agriculteurs eux ils sont en prise directe avec des enjeux qui mettent en cause leur métier : la sécheresse, les pénuries d’eau, tout la question aussi de l’équilibre des écosystèmes, de la richesse des sols". Alors pourquoi cette apparente opposition entre la majorité des agriculteurs et les écologistes ? "Je pense, explique Marine Lamoureux, que ce qui fait que le discours des agriculteurs ne semble pas toujours en cohérence avec le discours écologique, c’est la manière dont le système a été construit et la manière dont les subventions sont distribuées. Et la façon dont on a hérité aussi de la révolution verte, sur des décennies, où on leur a demandé de construire une agriculture extrêmement efficace à court terme, très productiviste". Et elle conclut optimiste : "ça prend du temps mais je pense que les écologistes et les agriculteurs ont vocation à se retrouver".
Réécoutez les témoignages de Marine Lamoureux, journaliste à La Croix L’hebdo et Adrien Louandre, jeune militant chrétien écologiste issu du monde rural dans l'émission Je pense donc j'agis présentée par Anne Kerléo et Melchior Gormand :
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