« Entre la France et l’Algérie, un rapport d’abuseur à abusé » : l’analyse critique de Mgr Jean-Paul Vesco

Un regard sur les relations entre la France et l’Algérie

Cette interview avec Mgr Jean-Paul Vesco a été réalisée avant le dernier épisode en date dans les relations diplomatiques entre Paris et Alger. Cet entretien téléphonique entre le président de la République et son homologue algérien, lundi 31 mars. Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune qui ont acté vouloir retrouver « un dialogue fructueux ». Un premier pas, après plusieurs mois de relations plus que tendues entre les deux pays.

Cette escalade de tensions, Mgr Jean-Paul Vesco l’a constatée et vécue de l’intérieur. Il vit en Algérie depuis plus de vingt ans. Un amour pour ce pays, un attachement, et l’obtention de la nationalité algérienne en février 2023 : « Je sens cette blessure qu’il y a au fond de l’âme algérienne. J’ai appris à la comprendre, à la discerner. Je crois en effet qu’il y a, entre la France et l’Algérie, un rapport d’abuseur à abusé » selon celui qui a été aussi évêque d'Oran. Avant de poursuivre :

L’expérience que nous avons des abus dans l’Église m’a permis, tout à coup, de comprendre ce malaise que je ressentais depuis des années. J’ai compris que ce qui est vrai pour une personne peut être vrai pour tout un peuple (…) La conscience n’a pas été prise de ce que représente pour un peuple d’être colonisé. Nous ne savons pas, nous, Français. Nous n’avons jamais été colonisés. Nous avons été envahis, oui, mais jamais colonisés. Donc, c’est une expérience qui n’est pas en nous.

Une méconnaissance aujourd’hui de la réalité algérienne, qui nous échappe, alliée à un ministère de l’Intérieur, ici, en France, qui érige les relations diplomatiques avec l’Algérie comme un modèle de fermeté à retrouver. Bruno Retailleau qui a notamment mis en marche « une riposte graduée » à l’égard d’Alger, « une posture suicidaire » selon Mgr Jean-Paul Vesco : « La position du ministre de l’Intérieur est une position de force. On doit faire plier. Et faire croire aux Français que ça va apporter plus de sécurité, c’est un leurre absolu. J’entends des responsables politiques appeler au divorce avec l’Algérie. Mais c’est une folie. La solution est à trouver du côté de notre devise, liberté, égalité, fraternité. C’est de cette fraternité dont on a besoin. C’est tisser des liens. Ne pas les couper. C’est tout le contraire qu’il faut faire ».

L’état de santé du pape François 

La vie de Mgr Jean-Paul Vesco a été heurté également, comme beaucoup, par la fragilité apparente du pape François ces dernières semaines. Hospitalisé pour une pneumonie bilatérale, le Saint-Père a convoqué un consistoire, dont la date n’est pas encore connue, même si l’état de santé du pape est jugé stable aujourd’hui. Créé cardinal par le souverain pontife en décembre 2024, Mgr Jean-Paul Vesco n’envisage pas le départ du pape François : « Je ne peux pas me préparer à l’échéance d’une renonciation, ou d’un décès. Il y a quelque chose d’irreprésentable pour moi pour l’instant » avoue-t-il :

Je sais simplement que le Saint-Père renoncera si un jour il sent qu’il n’a plus les capacités intellectuelles, mais je crois qu’il ira loin.

L’archevêque d’Alger qui estime même que cette fragilité pourrait apparaître comme une force d'inspiration sur le temps long : « Je crois qu’il peut donner, dans ce monde où c’est le royaume des gros bras, des hommes virils, une image d’une fragilité, d’un homme qui a une volonté de fer. Je crois que le monde peut être enrichi par le témoignage, par la présence, par la parole, d’un homme en plus grande fragilité », selon Mgr Jean-Paul Vesco. 

Lyon, sa terre natale 

Ancien avocat entré chez les dominicains à l’âge de 33 ans, Mgr Jean-Paul Vesco est né à Lyon, dans le 6e arrondissement, en 1962. Un symbole, aussi, pour celui qui vit aujourd’hui dans l’Algérie devenue indépendante par la signature des accords d’Évian… le 5 juillet 1962.

Alors que son voyage ne dure que quelques jours, Mgr Jean-Paul Vesco se souvient :

Lyon, c’est ma terre d’enfance, c’est ma terre d’étudiant. Revenir ici, c’est toujours un bonheur (…) J’ai la chance d’avoir ici deux parents en bonne forme. Et j’ai été très honoré par une messe à Saint-Bonaventure que j’ai présidé, et c’était beau de voir cette église pleine, pleine de visages aimés.

Une messe à Saint-Bonaventure, des rencontres sur ses terres, une conférence à l’Université Catholique de Lyon le 1er avril autour de la déclaration d’Abu Dhabi sur la fraternité humaine. Un programme chargé, un regard précieux, avant son retour vers Alger. Une interview à écouter dans son intégralité.