Ukraine
L'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne vont se retirer du traité d’Ottawa. Depuis 1999, ce traité interdit l'utilisation, la production et le transfert de mines antipersonnel. Cette décision est motivé par la montée de la menace russe mais elle inquiète les ONG humanitaires.
C’est un coup de canif dans un traité vieux de près de 26 ans. Le 18 mars, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne ont annoncé vouloir se retirer du traité d'Ottawa. Ce traité, entré en vigueur en 1999, interdit l'utilisation, la production et le transfert de mines antipersonnel. Il s'agit du premier traité international interdisant une arme conventionnelle. 164 pays dans le monde ont ratifié ce traité mais quelques grands États ne l'ont jamais signé comme les États-Unis, la Chine, l'Inde, les deux Corée ou encore la Russie. C’est justement la menace russe dans la région qui est invoquée par ces quatre pays pour justifier ce retrait.
“Ces pays partagent une frontière avec la Russie”, rappelle le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale. “Ces États ont des contentieux historiques majeurs avec la Russie. Donc se retirer du traité d’Ottawa, n'est pas une décision par volonté d'agressivité ou d'exportation de mines antipersonnel, mais c'est bien pour se protéger face à la menace russe”, explique-t-il. Les Etats baltes connaissent une asymétrie de pouvoir et de forces militaires face à la Russie. Selon le général : “il n'en demeure pas moins que déployer ce type de mine leur permet de compenser un rapport de force très défavorable”.
Mardi dernier, le ministre estonien des Affaires étrangères rappelait que Moscou n'a pas adhéré à cette convention d'Ottawa. L’Estonie estime : “qu’il n'est pas normal que nous nous interdisions d'utiliser des armes que la Russie est prête à utiliser contre nous”. Or, pour Christian Cardon, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge, le retrait de ces quatre pays est très inquiétant. “C'est un très mauvais signal, on parle d'un traité humanitaire qui était intouchable et un grand succès depuis 1999. De savoir qu'aujourd'hui, certains États pourraient considérer un retrait, c'est évidemment un retour en arrière”, souligne-t-il. “On ne remet pas en question le fait que certains veulent se défendre. Ce qui nous pose problème, c'est d'éventuellement remettre sur la table l'usage de mines antipersonnel, c'est maintenant que ces traités et conventions sont pertinents, sinon ils ne servent à rien”, complète Christian Cardon. Malgré leurs décisions, ces quatre pays sortants se disent attachés aux droits humanitaires internationaux, y compris à la protection des civils durant un conflit armé.
Les mines antipersonnel restent souvent actives après un conflit. 70 pays dans le monde sont encore affectés par environ 110 millions de mines terrestres. Elles peuvent rester dormantes pendant de nombreuses années, dissimulées sous la terre avant d'être déclenchées. “85% des victimes de mines sont des civils. Près de 40% des victimes sont des enfants” rappelle Eliott de Faramont, chargé de plaidoyer chez Handicap International, une ONG qui milite depuis le début pour l'interdiction de ce type d'armes au travers notamment des pyramides de chaussures. “Ce sont des paysans qui vont cultiver leurs terres, notamment au Cambodge. Ce sont des femmes, des hommes, des enfants dans des villes en Syrie, par exemple, qui vont vouloir se déplacer pour accéder aux services essentiels comme l'école. Ce sont des gens comme vous et moi, et c'est ça qui fait toute la terreur de ces armes” ajoute-il.
En 2023, selon un décompte de l'ONG Landmine Monitor, au moins 5757 personnes avaient été tuées ou blessées par des mines terrestres ou des munitions non explosées. Les mines antipersonnel gèlent aussi des pans entiers de territoire rendus inaccessibles ou trop dangereux pour toute activité humaine. “Il faut imaginer des champs et des terrains entiers qui sont paralysés bien après que les combats aient cessé. Et donc ça rend impossible la reprise d'une activité agricole, d'activités touristiques, les jeux des enfants, des promeneurs”, ajoute Christian Cardon.
Or, le traité d'Ottawa a eu un effet très bénéfique pour la protection des civils. 5 millions de mines antipersonnel ont été détruites, 55 millions de mines stockées ont été éliminées par les États membres du traité, 23 pays ont achevé leurs opérations de déminage. Pour Eliott de Faramont, “164 États sont actuellement partis, ce qui représente 80% des pays du monde. Il a donc permis de stigmatiser très largement l'utilisation des mines antipersonnel”.
Mais la guerre en Ukraine a constitué un point de bascule, les Américains ont livré des mines antipersonnel à Kiev signataire du traité. Cependant, d'autres signes d'affaiblissement étaient apparus bien avant selon Elliot de Faramond. “Il y avait des signaux d'une recrudescence de l'utilisation des mines depuis le conflit en Syrie notamment”, explique-t-il. L’annonce des États baltes et de la Pologne renforce donc ce sentiment d'urgence. “Il faut appeler l'ensemble des États partis à réagir extrêmement fortement, à prendre toutes les mesures diplomatiques nécessaires pour défendre à tout prix ce traité et les populations civiles”, interpelle le chargé de plaidoyer chez Handicap International.
L'Ukraine est désormais la nation la plus minée au monde, avec 20% de son territoire contaminé. Le coût estimé du déminage a été évalué par la Banque mondiale à environ 34 milliards d'euros. Handicap International évoque 50 milliards de dollars pour déminer l'intégralité du pays.
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