Rouen
L’invasion de l’Ukraine il y a presque un an rappelle d’autres invasions, d’autres conquêtes. L’implication de la Pologne dans le conflit actuel comme la méfiance des États baltes vis-à-vis de la Russie ont un goût de déjà vu. Au début du XIXe siècle, en se lançant à la conquête de l’immensité Russe, Napoléon signait la fin de son Empire.
Pour comprendre la campagne de Russie, il faut recontextualiser. En 1812, Napoléon a bâti un immense empire qui englobe l’Italie du Nord, l’Autriche, la Prusse (alliée de force) et l’Allemagne. S’y ajoutent des États vassaux, parmi lesquels l’Espagne. La France compte alors 130 départements. En 1810, Joséphine ne pouvant lui donner d'enfants, Napoléon épouse Marie-Louise, fille de l’empereur d’Autriche et descendante de Charles Quint. Cette union assied son pouvoir, qu'il prend dès lors pour acquis. Son attitude change, son égo gonfle. L’Europe se lasse du chef de guerre, qui traite ses alliés avec mépris. Mais rien n'arrête Napoléon : il vise la Russie, avec une ambition vengeresse. D’autant que l’alliance entre le tsar Alexandre et Napoléon est bancale. Les tensions augmentent, et la guerre éclate.
"C’est la campagne de trop pour Napoléon." Charles-Éloi Vial est historien et auteur de "Sauver l'Empire - 1813, la fin de l'Europe napoléonienne" (éd. Perrin, 2023). Cette campagne est à ses yeux un désastre. En juin 1812, ils sont 600.000 soldats à traverser le Niémen pour conquérir la Russie. Au retour, les troupes ne comptent plus que 60 000 fantassins. 130 000 hommes désertent, 200 000 meurent. "L’armée ne cesse de diminuer et de s’affaiblir", rapporte l’historien.
Située à 400 kilomètres à l'ouest de Moscou, Smolensk a une place stratégique dans les différents conflits en Russie. "La cité s’est retrouvée englobée au fil des siècles dans l’Empire russe, et devient vite une ville stratégique", explique François Malye. Il est auteur grand reporter au Point et auteur de "Smolensk - La cité du malheur russe, 1812-2022" (éd. Perrin, 2023).
Le mois d’août 1812 est marqué par la bataille de Smolensk. En trois jours, 130.000 hommes trouvent la mort. C’est un combat sanglant qui mobilise beaucoup d’artillerie, et dont on dit qu’il préfigure les batailles de la Première Guerre mondiale. Napoléon, alors épuisé, ne commande quasiment plus. C’est un moment de bascule pour l’empereur français, qui voit la déflexion des troupes saxonnes. Une fois ce retournement acté, il ne peut que perdre.
Les terres de Smolensk et plus largement les terres russes sont des "terres de sang". Dans l’imaginaire collectif russe, la ville de Smolensk est un point nodal de la mémoire nationale. Passée à plusieurs reprises entre les mains des Polonais, elle est le miroir du ressentiment russe et permet de comprendre les relations contemporaines entre la Pologne et la Russie. Katyn, petite ville à 20 kilomètres de Smolensk, est le théâtre de l’un des massacres de Staline. En 1940, il y fait exécuter 40 chefs polonais. Ce passé a poussé le maire de la ville a retirer le drapeau polonais qui y avait été installé en symbole de paix au mois de juin 2022.
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Napoléon, avec cette campagne de Russie, est le "fossoyeur de son propre Empire". C’est ce que s’attache à expliquer Charles-Éloi Vial : "Il précipite son Empire vers sa fin, la perte de ses conquêtes se fait par ses propres décisions." Bien que lucide de ses pertes, Napoléon veut poursuivre la guerre à outrance, et s’obstine jusqu’en 1815. "Qu’y puis-je si un excès de puissance m'entraîne à la dictature du monde ?", écrira l’empereur, qui projette de faire de Paris la capitale du monde.
"C’est autour de ces épisodes que se fait l’unité russe", explique François Malye. Battre Napoléon est "le ciment de la nation". Si la France peut avoir l’image d’un État éclairé et révolutionnaire, la guerre d’Espagne et la conquête de Russie marquent un point de bascule pour Napoléon et son image. Ces affrontements sauvages surgissent au moment où les peuples veulent leur indépendance. "Pour être libre, il faut affronter la France et se débarrasser de Napoléon", résume Charles-Éloi Vial.
Que pensent les Russes de l'invasion de l'Ukraine ? Pour François Malye, on ne peut pas vraiment savoir ce que pensent les Russes : c’est un "grand mystère : certains fuient, d’autres résistent". Mais beaucoup sont sous le joug de la propagande d’État, et considèrent que l’Ukraine a envahi leur pays. Depuis des années, la propagande de Vladimir Poutine et de ses prédécesseurs offre une image décadente de l’Occident. "L'Ouest envisagerait une solution finale pour les Russes."
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