Faut-il quitter Twitter après son rachat par Elon Musk ? Il y a moins de deux semaines, l’homme d’affaires a racheté le réseau social pour 44 milliards de dollars. Le patron de Tesla a ensuite licencié la moitié des salariés et commencé à détailler son projet, avec notamment un assouplissement des règles de modération. De quoi faire déjà fuir de nombreux utilisateurs.
Après le rachat de Twitter par Elon Musk, homme le plus riche de la planète, de nombreux utilisateurs quittent le réseau social. Certaines stars aux Etats-Unis s’en vont avec un tweet d’au revoir. "Je ne compte pas traîner ici pour voir ce qu’Elon a prévu. Au revoir", écrit Shonda Rhimes qui a créé la série Grey's Anatomy. Certains n’ont pas encore franchi le pas mais émettent des doutes, même ici en France comme le porte-parole du gouvernement Olivier Véran.
Pour Christophe aussi la question se pose de rester ou non. "L'attitude du nouveau propriétaire nous choque un peu", explique cet enseignant qui utilise Twitter avec sa classe de CM2 pour différents exercices d'orthographe ou d’éducation aux médias. "C’est un peu loin des valeurs de l’école. Nous, la liberté d’expression, c’est dans le respect du droit et ce n’est pas avoir le droit de tout dire." En attendant, Christophe a créé un compte sur le réseau social Mastodon, plateforme sans publicité, décentralisée sur différents serveurs, différentes instances chargée chacune de modérer les contenus. C’est un réseau encore relativement confidentiel, pas très facile d’utilisation. Mais qui a gagné 230.000 utilisateurs en une seule semaine après le rachat de Twitter par Elon Musk.
Elon Musk est un fervent défenseur de la liberté d’expression au sens du premier amendement de la Constitution américaine qui interdit au Congrès toute liberté de parole. Il pourrait assouplir les règles de modération du réseau social, ce qui impliquerait que des contenus haineux ne soient pas supprimés. Mais en Europe, il y a la régulation du "Digital Services Act" (DSA) qui oblige les plateformes à retirer certains contenus. Twitter doit s’y conformer. Elon Musk "ne va pas couper Twitter pour l’Europe", souligne Gilles Babinet.
Mais on peut s'attendre à des phases difficiles. "Quand il licencie la moitié des effectifs, on se rend compte que les équipes de modération sont particulièrement touchées. Twitter, ce n’est pas une entreprise qui produit des voitures. C'est quelque chose qui a à voir avec la démocratie. Le sujet du contenu en tant que tel ne regarde pas que Twitter", insiste le co-président du Conseil national du numérique.
L’inquiétude est également suscitée autour des certifications, ces petits badges bleu à côté du pseudonyme, censés authentifier l’auteur des tweets. Elon Musk voulait la rendre payante : 8 dollars par mois, permettant aussi d’accéder à certaines fonctionnalités. Il a finalement fait machine arrière en proposant une distinction, la mention "officiel", entre les comptes déjà authentifiés et les futurs nouveaux abonnés de cette formule.
Peut-on alors craindre des tentatives plus fortes de désinformation ? Pas nécessairement selon Fabrice Epelboin. "Moi j’ai cette fameuse pastille bleu. Il n’y a pas eu de vérification de mon indentité au même sens qu’à la banque. Malgré tout, ça a créé une forme d’aristocratie sur Twitter et inconsciemment les gens se sont dit que les messages émis par des comptes certifiés avaient valeur de vérité. Ce qui est une invention", estime cet enseignant et entrepreneur spécialiste des réseaux sociaux.
En faisant payer la certification, Elon Musk entend surtout rentrer dans ses frais. Il a acheté ce réseau social, peu rentable, pour la somme de 44 milliards d'euros et doit faire face à la fuite de certains annonceurs du réseau social. "Les revenus publicitaires ne rapportent pas suffisamment d’argent par individu pour assurer une modération à la hauteur. Donc Twitter comme tous les réseaux sociaux est condamné s’il veut se conformer aux exigences actuelles, à trouver un modèle économique. La solution d'Elon Musk c'est de faire payer des utilisateurs sur une version premium", analyse Fabrice Epelboin. Une stratégie qui a mené également au licenciement brutal de la moitié des 7500 salariés du réseau social.
L’enjeu n’est donc pas tellement financier mais surtout politique. Twitter est un outil considérable pour gagner en influence. Le milliardaire avait revendiqué au moment de l’achat de "libérer l’oiseau bleu", emblème du réseau social et de créer une place publique libre pour exprimer toutes les opinions. Serge Abiteboul le prend aux mots et l’encourage à donner un plus large accès aux données et au code source du réseau social. "Les utilisateurs pourraient donner des choses minimum sur quel genre de modération ils veulent, aussi sur les recommandations", détaille le chercheur en informatique à l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique.
Pour l'auteur de "Nous sommes les réseaux sociaux" (éd. Odile Jacob) avec Jean Cattan, il faut se réapproprier Twitter. "Le monde dans lequel on vivra dans 20 ou 30 ans sera façonné par ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Toute la société doit s’emparer de ce sujet-là. Et ça ne peut pas être quelques chefs d’entreprises qui vont décider dans quel monde on va vivre dans 20 ans, ni des gouvernements. Nous pensons avec Jean Cattan que c’est à toute la société de se prendre en main et de régler ce problème", explique-t-il.
L'enjeu devient démocratique quand on connaît l’influence des réseaux sociaux dans les différentes campagnes électorales dans le monde et nos sociétés. C’est sur Twitter que sont nés des hashtags comme Black Lives Matter ou encore Me Too, qui ont marqué durablement notre société.
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