La diplomatie américaine est-elle encore audible au Proche-Orient ? Les efforts de Joe Biden, d’Antony Blinken et de l’administration se heurtent à l’opposition d’un homme : Benjamin Netanyahu. Sauf qu’en politique interne, à quelques mois de l’élection présidentielle, la situation devient de plus intenable pour le président des États-Unis qui met la pression pour obtenir un cessez-le-feu. Comment se construit et comment a évolué la diplomatie américaine au Proche-Orient depuis le 7 octobre ? Quels sont les obstacles ? Décryptage.
“Les États-Unis sont omniprésents et incontournables dans les négociations actuelles”, prévient tout de suite David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut Français d'Analyse Stratégique et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques. Parmi les priorités affichées par les États-Unis : éviter tout embrasement régional du conflit, parvenir à un cessez-le-feu à Gaza et trouver une sortie de crise.
“Il y a un envoyé spécial américain au Liban, Amos Hochstein, qui fait d’énormes efforts pour éviter l’ouverture d’un deuxième front et puis il y a une pression de Washington sur la guerre à Gaza avec des injonctions à destination d’Israël pour que l’État hébreu assouplisse une position jugée trop intransigeante”, résume David Rigoulet-Roze.
Après avoir apporté un soutien inconditionnel à Israël juste après l’attaque meurtrière du Hamas, le 7 octobre dernier, la position américaine a connu plusieurs inflexions. Il faut comprendre que dans un premier temps “c’est dans l’intérêt stratégique des États-Unis de voir le Hamas affaibli voir même détruit”, explique Martin Quencez, directeur du German Marshall Fund of the United States à Paris. “Pour Joe Biden, la situation au Moyen-Orient avant le 7 octobre était une situation avec un statu quo et une forme de stabilité très appréciable et le Hamas est venu casser la paix et créer le chaos”, complète-t-il.
Les américains veulent empêcher que de nouveaux incidents éclatent d’ici l’élection américaine de novembre prochain
Après l’attaque du groupe terroriste palestinien, Israël mène des frappes, puis lance une invasion terrestre sur Gaza avec des opérations au sol qui continuent aujourd’hui. La diplomatie américaine va connaître quelques ajustements. “Joe Biden a deux objectifs : être un point central dans toutes les négociations sur la libération des otages et empêcher toute escalade au niveau régional”, liste Martin Quencez. La position a encore bougé puisqu’aujourd’hui, les États-Unis appellent ouvertement au cessez-le-feu et cherchent une sortie de crise. “Ils veulent empêcher que de nouveaux incidents éclatent d’ici l’élection américaine de novembre prochain”, analyse le chercheur.
La position des États-Unis ne saurait être décorrélée de la course à la Maison Blanche qui a commencé. Le camp démocrate de Joe Biden se divise sur le sujet. Des mouvements comme Abandon Biden Campaign appellent les électeurs démocrates à ne pas soutenir Biden pour son rôle à Gaza. “Il y a un mouvement qui est en train de se structurer à l’extrême gauche et qui prend à défaut la politique étrangère de Joe Biden”, expose Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l’Université Paris-Assas et au centre Thucydide.
Mardi 27 février, lors de la primaire démocrate dans le Michigan, 13 % des votes étaient des votes blancs en signe de contestation. “Deux délégués ont été désignés grâce à ce vote blanc dans le Michigan et vont aller à la convention démocrate en portant cette parole”, révèle Jean-Eric Branaa. “Le mouvement qui s’est installé est extrêmement profond, il a gagné les universités, la jeunesse, l’ensemble de la communauté, arabo-américaine”, ajoute-t-il.
Sur Gaza, Joe Biden est piégé entre sa gauche et sa droite modérée
Une partie des moins de 25 ans accusent le président sortant d’être complice d’un génocide à Gaza tandis que la population générale reste en faveur d’une réponse ferme de la part d’Israël. “Joe Biden est piégé entre sa gauche et sa droite modérée et c’est difficile pour lui de faire un pas de côté sans perdre des voix”, résume le spécialiste des États-Unis. Selon lui, la situation à Gaza menace la réélection de Biden en novembre prochain, en réduisant ses chances dans les fameux “swing states”, les États en balance, comme la Pennsylvanie, le Michigan, Minnesota ou encore le Wisconsin.
Cette tension interne a bien sûr une influence sur les choix diplomatiques de Joe Biden. “On voit très clairement une pression de plus en plus forte portée à l’endroit de Netanyahu pour qu’il infléchisse sa position”, assure Jean-Eric Branaa. “Il ne se passe pas une seule journée sans un appel très fort des autorités américaines à destination des acteurs sur le terrain”, pointe-t-il.
Même si durant sa présidence, Barack Obama avait tenté d'acter le désengagement américain de la zone, force est de constater que le poids des États-Unis est toujours réel. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les Américains disposent de plusieurs leviers au Proche-Orient qui obligent les partenaires à les écouter. “Il y a d’abord un levier politique, car Joe Biden a émergé comme un soutien fort d’Israël au moment de l’attaque du Hamas, une large partie de la population israélienne le considère comme le premier allié dans leur pays et il dispose d’ailleurs d’un soutien plus important que Netanyahu”, détaille Martin Quencez.
“Les États ont ensuite des leviers diplomatiques dans la région”, poursuit-il. Viennent enfin les leviers militaires et économiques, car “les Américains soutiennent Israël dans son effort de guerre avec des livraisons de munitions et des partages de renseignements qui permettent à Israël de conduire les opérations et la guerre à Gaza”.
Malgré ces leviers, pourquoi la Maison Blanche a-t-elle autant de mal à obtenir un cessez-le-feu ? On l’a dit, d’abord la situation interne de Biden, entre le marteau et l’enclume, ne lui permet pas d’utiliser à la légère les points de pression décris ci-dessus. Ensuite, “il y a une forme d’obstruction avérée de la part du Premier ministre, Benyamin Netanyahu” témoigne David Rigoulet-Roze. “Les relations personnelles entre les deux hommes sont exécrables et Joe Biden considère le Premier ministre israélien comme un obstacle à la perspective de sortie de crise, et même comme une menace pour la sécurité même d’Israël”, complète-t-il.
“Benyamin Netanyahu joue sa survie politique”, abonde Martin Quencez. “L’administration Biden aurait besoin d’un changement de leadership en Israël pour travailler avec un homme plus proche des positions américaines”, prédit-il. Outre l'homme, c'est également sur le projet que s'opposent Netanyahu et le camp américain. “Le viatique américain, c’est la solution à deux États, mais Netanyahu ne veut pas en entendre parler”, assure David Rigoulet-Roze.
Parmi les signes de défiance : les Etats-Unis ont commencé début mars à larguer de l’aide humanitaire au-dessus de Gaza afin de contourner les difficultés d’acheminement par camion. Et puis, plus important sur le plan politique : la venue à Washington, le 4 mars, de Benny Gantz, le membre le plus influent du cabinet de guerre israélien et surtout le plus gros rival politique de Netanyahu. “Il n’y a qu’un seul Premier ministre et c’est moi”, s’est énervé Netanyahu qui avait demandé à Benny Gantz de ne pas faire ce voyage à Washington.
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