La nouvelle est tombée comme un couperet pour les éleveurs français le 10 novembre. Re-confinement total pour toutes les volailles de l’Hexagone à cause du risque de grippe aviaire qui est redevenu "élevé". En fait, le virus n’a jamais vraiment disparu du territoire français cette année et nos canards, nos poulets et nos dindes n'auront mis le bec dehors que pendant quelques mois. Les nouvelles restrictions et les mesures de sécurité du ministère de l'Agriculture font débat dans le monde agricole. Les solutions aussi. Certains professionnels attendent le vaccin comme le messie quand d’autres questionnent notre modèle.
Les records tombent en matière de grippe aviaire cette année. Vingt millions de volailles ont été abattues entre l'automne 2021 et le printemps 2022. En comparaison, la saison 2020 - 2021 affichait déjà un triste record de 3,5 millions. La dernière épizootie a donc été un séisme qui a ébranlé toute la filière. "C'est le silence de la mort", se souvient Lionel Candelon, éleveur dans le Gers qui a vu tout son élevage abattu en janvier dernier dans le cadre d’une opération préventive. Celui qui est aussi président de l’association Canards en Colère raconte : "Un mardi matin, tous vos animaux vont très bien, vous passez cinq heures avec eux et le lendemain, vous avez quinze personnes en blouse blanche qui vous expliquent qu’ils sont habilités à tuer vos animaux dans le cadre d’un abattage préventif parce que vous avez un foyer proche de chez vous. Ils viennent, ça part dans une benne d'équarrissage et puis y a plus rien. C'est fini."
Le moral était déjà bas, mais cette nouvelle épizootie et les nouvelles restrictions entrées en vigueur la semaine dernière font de nouveau craindre le pire. "Je m'attends tous les jours à ce qu'on m'appelle pour me dire qu'il y a un foyer pas loin de chez moi et qu’on doit abattre. Cauchemardesque”, s’inquiète Lionel Candelon. "On est toujours à la merci que ça nous tombe sur la tête", abonde Sylvie Colas, productrice bio de volaille dans le Gers. Une épée de Damoclès à laquelle s'ajoute une surcharge de travail. "Avec le confinement, pour que les animaux soient confortables dans les bâtiments, il faut une litière propre et qui doit être régulièrement renouvelée", explique Marie-Pierre Pé, directrice du Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie Gras (Cifog). "De plus, pour les éleveurs de notre filière, le plein air fait partie de l’ADN. Cet enfermement ne se fait pas de gaieté de cœur", ajoute-t-elle.
Et puis il y a aussi les difficultés économiques. Le gouvernement a annoncé mi-novembre une indemnisation à hauteur de 10 millions d'euros d'indemnisation pour les près de 700 éleveurs de Dordogne qui ont été touchés par la grippe aviaire cette année. Mais au-delà des coups durs ponctuels, le virus impacte toute la filière. "Le moral est dans les chaussettes, confirme Claire Dufour, éleveuse foie gras en Haute-Vienne, on sait qu’on va moins travailler cette année… Aborder la période de Noël comme ça, c’est compliqué."
Depuis août dernier, 41 foyers ont été recensés, 770 000 canards, poulets ou poules pondeuses ont déjà été abattus ces trois derniers mois. La grippe aviaire est normalement une maladie saisonnière sauf que cette année, elle n’a pas vraiment disparu entre le printemps dernier et cet automne. "C’est un élément nouveau", révèle Jean-Luc Guérin, professeur de pathologie aviaire à l’École nationale vétérinaire de Toulouse et chercheur à l’Inrae.
Il y a sans doute des modifications des propriétés du virus qui devient plus adapté à une variété plus importante d'oiseaux
"Jusqu'à présent, on a toujours observé en Europe une saisonnalité des cas liés au passage des oiseaux migrateurs. Mais depuis plusieurs mois, on observe une endémicité, c'est-à-dire une contamination de la faune sédentaire avec des infections à bas bruit et quelques cas ponctuels sporadiques qui ne se sont quasiment jamais arrêtés. Ce que nous n’arrivons pas encore totalement à expliquer, c'est l'intensification de la circulation virale et des oiseaux sauvages", détaille le chercheur. Symbole de cette extension du virus, la colonie française de fous de Bassan en Bretagne, au large de Perros-Guirec a été décimé à la fin de l’été. “Il y a sans doute des modifications des propriétés du virus qui devient plus adapté à une variété plus importante d'oiseaux qui fait que le maintien du virus dans la population est plus facile", développe le Professeur Guérin.
Afin d’éviter de connaître une nouvelle hécatombe, le ministère de l'Agriculture est donc passé en risque “élevé” sur tout le territoire le 10 novembre dernier. Cela implique un confinement total des tous les élevages et l’application de mesures de biosécurité comme la limitation des flux de circulation sur les exploitations ou des désinfections régulières. "Ce sont des mesures de prévention qui doivent être mises en place, insiste la directrice du Cifog, Marie-Pierre Pé, il faut qu'il y ait vraiment des précautions qui soient prises dans tous les élevages et que la surveillance qu'assurent nos producteurs soit le plus professionnel possible. Dès lors que l'on détecte une mortalité anormale, on doit aviser son vétérinaire qui doit venir diagnostiquer très vite. Le moyen de lutte de cette maladie, c'est d'aller très vite pour gérer le moindre foyer qui apparaît afin d’éviter une propagation d'élevages en élevage”, résume-t-elle.
Néanmoins, ces mesures sont loin de faire l’unanimité. "La claustration ne marche pas et n'a pas empêché la contamination des élevages", assure Sylvie Colas qui est aussi en charge du dossier grippe aviaire pour la Confédération paysanne. "Tout ce qu’on a essayé en matière de biosécurité depuis 2015 ne fonctionne pas", s’énerve même Lionel Candelon qui plaide pour la vaccination. "C’est notre dernière solution."
Aucune mesure est satisfaisante pour bloquer la diffusion virale
“Je comprends la colère, mais ces actions sont malheureusement indispensables", regrette le professeur Jean-Luc Guérin en parlant notamment des questions d’abattage préventif, très critiquées dans la profession. "On sait aujourd'hui d'expérience que lorsqu'un élevage est infecté, il contamine l'environnement sur au moins kilomètre”. Par ailleurs, des restrictions comme le confinement sont “des mesures de freinages qui concourent à limiter l'impact de la crise", argue-t-il. "Mais on sait très bien qu’aucune mesure aujourd'hui est satisfaisante pour bloquer la diffusion virale. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les programmes de tests de vaccination sont mis en œuvre en France”."
Suite à la violence de la dernière épizootie, le gouvernement a donc fini par accepter de lancer des tests sur les vaccins. Depuis mai dernier, c’est une protection pour les palmipèdes qui est étudiée. "J'insiste sur le fait que les tests qui sont mis en œuvre en France concernent le Canard", explique Jean-Luc Guérin. "Compte tenu de nos types d'élevage et compte tenu du rôle spécifique que jouent les canards dans la diffusion du virus, il est prioritaire de vacciner les canards." La première vague d'essais est en cours de finalisation. Les scientifiques espèrent des résultats en fin d’année ou début 2023. C’est à partir de ces données que l'exécutif décidera de lancer ou non une grande stratégie vaccinale pour lutter contre la grippe aviaire. La mise sur le marché pourrait alors se faire en fin d’année prochaine.
"Il faut bien comprendre que la réponse à un vaccin n'est pas forcément la même selon qu'on s'adresse au poulet, au canard, à la dinde", précise le chercheur. Si la France travaille sur les palmipèdes, d’autres pays européens planchent, eux, sur d’autres vaccins. Les Pays-Bas cherchent une solution pour le poulet par exemple, tandis que l’Italie se penche sur la dinde. "L’idée est ensuite de mutualiser les données pour avoir une sorte de boîte à outils avec tous les vaccins disponibles."
"On prie pour que ça marche", alerte Lionel Candelon. Cependant, il faut être prudent avant de parler de solution miracle, car le vaccin présente plusieurs conditions. Il va d’abord falloir gérer l’opinion publique sur cette question. Ensuite, il va falloir convaincre les partenaires commerciaux internationaux pour qu’ils acceptent d'acheter des produits provenant de pays qui vaccinent. "C’est de la diplomatie vétérinaire", s’amuse Jean-Luc Guérin. Enfin, les scientifiques mettent l’accent sur l’aspect multiforme des solutions à apporter contre la grippe aviaire. Le professeur de pathologie aviaire à l’École nationale vétérinaire de Toulouse précise : "On continuera d’observer des mesures de biosécurité et d’être attentif sur la surveillance. Le vaccin est un outil qui peut être très précieux, s’il est correctement conjugué aux autres réponses."
Le vaccin ne fait pas l’unanimité dans le milieu agricole. Plusieurs organisations environnementales ou syndicats comme la Confédération paysanne appellent à réfléchir à travers la grippe aviaire à notre modèle d’élevage. Pour Sylvie Colas, ce virus met en lumière notre "fuite en avant dans l’industrialisation". "Nous sommes allés trop loin dans la concentration d’animaux et dans la densité des élevages. Cela fragilise les animaux et cela augmente les flux."
Nous sommes favorables à la vaccination, si cela ne contribue pas à intensifier les productions
“Forcément, il faut des camions d'aliments qui viennent régulièrement dans les exploitations, il faut des très gros abattoirs très concentrés, il faut une mondialisation et donc forcément transport d'animaux vivants, d'un élevage et d'une région à l'autre… Et tout cela, augmente aussi la circulation du virus. Nous sommes favorables à la vaccination, et aux recherches dans ce domaine, mais moyennant que ça ne contribue pas à intensifier encore plus les productions. Il faut au contraire, que nous ayons une réflexion globale pour repenser l'élevage de demain”, conclut Sylvie Colas.
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