Normandie
L’agriculture de conservation est une technique de culture qui cherche à réduire le travail du sol en profondeur. Entre 2 et 4 % des surfaces françaises sont cultivées de cette manière aujourd’hui.
Souvent associée au non-labour, l’agriculture de conservation des sols repose en fait sur trois piliers : une réduction voire la suppression du travail du sol, le maintien d’un sol couvert en permanence ainsi que la diversification des cultures, selon les critères fixés en 2001 par la FAO ( l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture). Le concept a été développé dans les années 50 aux États-Unis. Le pays avait, en effet, connu un phénomène climatique extrême dans les années 30 appelé « dust bowl », des tempêtes de poussière causées par la terre des champs. En France, cette pratique est apparue plus tardivement et concerne aujourd’hui seulement 2 % des agriculteurs, selon les derniers chiffres de l’Agreste. Sur le terrain, cette dénomination regroupe une diversité de pratiques. Cette diversité apparaît au sein du GIEE Manche agriculture de conservation, un groupe de 17 exploitations de la Manche qui se forment et échangent sur ce système.
Laisser le sol couvert en permanence entre deux cultures, c’est le deuxième pilier de l’agriculture de conservation. Marion et Emmanuel Letablier font partie de ce GIEE. Éleveurs laitiers à Bricquebosq, ils ont arrêté de labourer il y a 15 ans. « On a découvert qu’en détruisant le couvert, on pouvait presque semer directement ensuite », explique Emmanuel Letablier. « Les plantes, qu’on sème entre deux cultures, travaillent le sol. C’est un outil naturel. Avec une culture, la vie du sol ne s’arrête jamais. Si on laisse un sol nu, il se produit une érosion par le vent ou l’eau », ajoute Marion Letablier. « Les plantes travaillent 100 fois mieux que nous », indique son mari Emmanuel.
Les plantes travaillent 100 fois mieux que nous
En agriculture de conservation, l’objectif est d’imiter la prairie. « La couverture permanente permet d’apporter de l’énergie au sol, puisque les plantes servent à la photosynthèse qui restitue au sol de l’énergie et de la nourriture dans la terre », décrit Antoine Maquerel, agriculteur à Théréval qui pratique l’agriculture de conservation depuis 10 ans. « La couverture du sol permet aussi d’éviter de subir le climat. Quand il pleut, cela impacte la parcelle. L’avantage du sol couvert, c’est qu’il y a un effet parapluie, les gouttes éclatent avant de tomber au sol. La surface sous les plantes reste grumeleuse, ce n’est pas une croûte de terre. On a besoin de cette porosité pour laisser passer l’air et l’eau. »
Vincent Picot, agriculteur au Mesnil-au-Val près de Cherbourg, s’est intéressé à l’agriculture de conservation en 2010, en agrandissant sa surface. « Je n’avais pas le matériel adapté ni la main d’œuvre, donc j’ai commencé les techniques culturales simplifiées : on arrête le labour, mais on continue le travail du sol. En faisant une formation à la Chambre d’agriculture de Normandie, j’ai découvert toute la vie qui existe sous nos pieds, c’est devenu une vraie passion. »
J’ai découvert toute la vie qui existe sous nos pieds, c’est devenu une vraie passion
Vincent Picot l’affirme : « Jamais je ne remettrai la charrue. Quand je travaille le sol de manière plus profonde parce qu’il y a eu un accident de récolte ou pour des raisons climatiques, je vois les vers de terre remonter à la surface, ça me fait vraiment mal au cœur. »
Avec plusieurs années d’expérience, tous voient les bienfaits de cette pratique. « Je remarque que l’érosion est limitée. Quand on laboure, on voit facilement de la terre qui sort du champ après une grosse pluie. Ca a complètement disparu et ça, c’est une grande satisfaction », explique Olivier Leroux, agriculteur à Gonneville-le-Theil. L’agriculture de conservation porte des fruits sur le long terme, et en premier lieu celui de préserver le capital du sol. « On est utilisateur d’un sol qui ne nous appartient pas, il faut qu’il soit toujours fertile pour les générations d’après », insiste Marion Letablier.
« Les jeunes ne doivent plus considérer le sol comme un simple support qu’ils travaillent, il faut vraiment qu’ils le prennent comme le premier être vivant de leur ferme, qu’il faut nourrir, respecter, en prendre soin comme on prend soin de ses animaux », complète Vincent Picot, soucieux de la formation donnée aux futurs agriculteurs.
Malgré ses bienfaits, l’agriculture de conservation se heurte à de nombreux freins, à commencer par l’utilisation de produits phytosanitaires pour gérer les mauvaises herbes. « Aujourd’hui, si on effectue aucun travail du sol, on est obligé d’utiliser des herbicides », explique Gabriele Fortino, conseiller technique à la Chambre d’agriculture et animateur du GIEE. Antoine Maquerel l’admet, si l’agriculture de conservation lui a permis de diminuer les engrais, il n’a pas réussi à diminuer les herbicides. Vincent Picot, lui, a limité les doses de produits phytosanitaires sur ses parcelles. « L’agriculture de conservation m’a permis de les diminuer, car j’ai appris à mieux les utiliser, mais ils restent malgré tout indispensables. »
Olivier Leroux est revenu un peu en arrière par rapport à son projet de départ, lui qui, voulait arrêter totalement le travail du sol. « Par sécurité, je préfère travailler un peu le sol. C’est toujours une histoire de compromis, il ne faut pas s’obstiner. S’il faut temporairement revenir à la charrue, il ne faut pas se l’interdire ». Marion et Emmanuel Letablier, qui sont passés en agriculture biologique en 2021, sont également contraints de travailler davantage le sol pour éliminer les plantes indésirables.
Mais pratiquer l’agriculture de conservation, ce n’est pas qu’une question technique, c’est aussi changer sa manière de penser. « Avant de décompacter la terre, il faut décompacter son cerveau. On nous a appris une certaine manière de cultiver les sols, alors il faut se former pour apprendre les nouvelles techniques et échanger entre nous », recommande Vincent Picot.
Comme frein au développement de cette agriculture, Gabriele Fortino pointe également le manque de formation et d’accompagnement. « Aujourd’hui, on ne peut compter que sur des initiatives individuelles pour changer de façon de faire. Le contexte économique ne donne pas la souplesse aux agriculteurs de se poser ces questions-là. Changer son système implique des risques importants. » Avec l’agriculture de conservation, les interventions ne sont plus systématiques, cela demande davantage d’observation. « À chaque fois qu’on limite les interventions humaines au champ, on est plus dépendant de la nature, du climat, de la vie du sol. Il n’y a pas de recette toute faite, c’est de l’auto-apprentissage », ajoute Gabriele Fortino. Malgré tout, pour lui, l’agriculture de conservation peut être pratiquée dans toutes les régions de France et avec tous les climats. « Depuis que je travaille sur ce sujet, je rencontre des agriculteurs qui ont tout type de sol et tout type de climat. On peut le faire partout, mais on ne le fera pas de la même manière.»
C’est moins d’heures sur le tracteur, mais plus d’heures à observer
Pratiquer l’agriculture de conservation, est-ce un gain de temps ? « C’est moins d’heures sur le tracteur, mais plus d’heures à observer, à réfléchir sur le choix des couverts, à se former, à échanger avec le GIEE », répond Antoine Maquerel. « Pour moi, c’est plus enrichissant et formateur d’employer son temps à cela. » Un constat que partage ses collègues du GIEE.
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