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Les ovalistes, ces ouvrières de la soie qui ont mené la première grève des femmes

Un article rédigé par Charlotte Mongibeaux - RCF, le 17 juin 2024 - Modifié le 17 juin 2024
Tempo · Le podcast d'actualité de RCF LyonLes ovalistes, ces ouvrières de la soie qui ont mené la première grève des femmes

C’est un évènement majeur dans l’histoire ouvrière en France. Le 17 juin 1869, des femmes ouvrières de la soie, les « ovalistes », entament une grève à Lyon. Elles se révoltent contre leurs conditions de travail. Une protestation d'une ampleur inédite qui va durer un mois. C’est la première grève menée par des femmes en France mais aussi une page de l’histoire vite tombée dans l'oubli. 

Bobine de fil dans les usines de soie artificielle Tase ® RCF LyonBobine de fil dans les usines de soie artificielle Tase ® RCF Lyon

Elles sont quelques milliers à travailler à Lyon dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Les « ovalistes » sont des ouvrières non qualifiées qui s'occupent du fil de soie avant qu'il ne soit utilisé. Elles surveillent le moulin, dont le moteur est d'une forme ovale d'où vient leur nom, et elles appliquent les traitements préparatoires au fil de soie brut. Ce terme et ce travail n'existent qu'à Lyon. 

12h de travail par jour pour un salaire de misère

Dans le quartier des Brotteaux ou à la Croix-Rousse à Lyon, ces femmes vivent dans l'ombre. Venues des campagnes autour de Lyon ou issues de familles pauvres du Piémont, elles sont souvent jeunes et non-mariées. Elles viennent grossir les rangs des ouvriers pour envoyer de l'argent à leur famille et préparer leur dot. En bas de l'échelle sociale, elles se font discrètes. 

« Elles dorment dans des sous-pentes à plusieurs dans des lits qui sont des paillasses », décrit Maryline Desbiolles, romancière qui s'est inspirée de la première grève des femmes dans son dernier ouvrage Il n'y aura pas de sang versé (Éditions Sabine Wespieser). Les ovalistes sont obligées de dormir à l'atelier et d'y manger. Le patron retient sur leur salaire, déjà faible, toutes ces charges supplémentaires. Il n'est pas rare à Lyon à cette époque d'entendre le terme de « soupe des ovalistes » : un bouillon pauvre d'eau chaude, de légumes, agrémenté rarement de quelques morceaux de viande.

Ces ouvrières travaillent 12h par jour en station debout et sont payées un tiers de moins que leurs homologues masculins.  En outre, « il y a beaucoup de poussières dans ces ateliers, elles sont nombreuses à mourir de la phtisie », complète la romancière, c'est à dire d'une tuberculose pulmonaire courante à l'époque.
 

Il y a beaucoup de poussières dans ces ateliers, [les ouvrières] sont nombreuses à mourir de la phtisie 

2 000 ouvrières en grève à Lyon

Comment ces femmes pauvres, qui ne parlent pas le français mais leurs patois respectifs, ont-elles réussi à s'organiser et à lancer la première grève des femmes en France ? « C'est un mystère » concède la psychologie Annick Houel. Elle a écrit en 1982 un premier ouvrage pour retracer cette protestation. « Ce que l'on sait, c'est que le climat social était tendu. Il y avait beaucoup de grèves d'hommes ouvriers à cette époque » dans un second Empire au bord de l'implosion. 

Le 17 juin 1869, les ovalistes de Lyon font appel à un écrivain public pour lister leur revendications. Passer à la journée de 10 heures de travail, être payées autant que les hommes ou encore ne plus être obligées d'habiter à l'atelier. Après quelques jours de négociations sans résultat avec leurs patrons, elles font du porte à porte. Quelques jours plus tard, 2 000 ouvrières débrayent à Lyon. 

« Les patrons décident de les mettre dehors, reprend Annick Houel, ce dont elles ne se formalisent pas du tout. Elles sortent leurs malles et couchent dans la rue ». Un spectacle qui fait scandale et qui sera largement relayé par la presse locale. Elles sont accusées de prostitution. 

Elles sortent leurs malles et couchent dans la rue

Une heure de travail en moins 

Les ovalistes vont adhérer à l'Association internationale des travailleurs, organisation ouvrière alors divisée entre partisans communistes et anarchistes. Elles seront les premières femmes à pouvoir y être représentées, mais ne pourront pas se représenter elles-mêmes. Une victoire en demi-teinte pour ces femmes qui n'arrivent pas à prendre la parole en public. 

Un mois après le lancement de la grève, le mouvement s'essouffle. Elles obtiennent une heure de moins de travail par jour mais aucune avancée sur les autres sujets. Les ateliers préfèrent recruter des candidates piémontaises moins enclines à faire grève. La guerre franco-prusse se profile, ainsi que la Commune de Paris. Les bouleversements politiques tourneront vite la page de cette révolte qui, de surcroit, n'aura été documentée que par la presse locale.

Il faudra attendre les années 80, avec l'ouvrage d'Annick Houel et de l'historienne Claire Auzias (La grève des ovalistes, juin-juillet 1869), d'ailleurs récemment réédité par l'Atelier de création libertaire de Lyon, pour découvrir l'histoire de cette première grève des femmes. 

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