Ce lien si particulier entre littérature et politique est une spécificité française. Pourtant, le monde culturel a semblé quelque peu en retrait durant la campagne présidentielle. Comparés à Zola, Sartre ou Malraux, nos écrivains du XXIe siècle sont-ils toujours aussi engagés ? Pour Alexandre Gefen, la littérature aujourd'hui en France participe au débat démocratique.
Pensez-vous qu’il y a encore une littérature engagée ? Pensez-vous qu’il y a de grands romans politiques ? C’est le type de questions qu’Alexandre Gefen a posées à 26 écrivains contemporains, comme Annie Ernaux, Alice Zeniter, Aurélien Bellanger, Leïla Slimani ou encore Mathias Énard. Un panel composé moitié d’hommes moitié de femmes, représentatif de différents styles d'écriture. Il y a ceux tournés vers une littérature plus expérimentale, comme Emmanuelle Pireyre, ou d'autres vers une littérature plus classique, comme Éric Reinhardt.
L'enquête d'Alexandre Gefen a abouti à la rédaction d'un ouvrage, "La littérature est une affaire politique – 26 écrivains se mêlent de ce qui les regarde" (éd. L’Observatoire). Il est paru juste avant le premier tour de l’élection présidentielle. Après une campagne durant laquelle le monde culturel a semblé quelque peu en retrait. "Même si Laurent Binet ou Pierre Lemaître ont appelé à voter Mélenchon", précise Alexandre Gefen. Et même si, pour lui "les prises de position publiques d’Annie Ernaux jouent un rôle important dans notre conscience politique"…
La question se pose aujourd'hui de l'engagement ou du désengagement des écrivains vis-à-vis de la politique. Avec Voltaire, Zola, Sartre ou Malraux, on a vu des écrivains s'engager fortement. Mais est-ce encore le cas aujourd’hui ? "A-t-on affaire à un désengagement de la littérature qui ne s’intéresse plus au politique ? Le faible nombre d’écrivains ayant pris parti dans cette dernière campagne présidentielle en serait-il le signe ? Ou est-ce que la littérature veut faire de la politique mais peut-être un peu autrement ?" Autant de questions qui ont motivé l'enquête d'Alexandre Gefen.
C'est très important je crois aujourd’hui pour un politique d’avoir des lettres
Peu d’écrivains se lancent en politique, ou quand ils le font, "à chaque fois ça fait polémique". Alexandre Gefen rapporte même une certaine "méfiance" que les écrivains entretiennent vis-à-vis du discours politique. Un discours "dont ils essaient de montrer les failles, les limites par une autre parole, une parole littéraire".
D'un autre côté, "c’est très important je crois aujourd’hui pour un politique d’avoir des lettres", constate Alexandre Gefen. Il existe en France une longue tradition, depuis la IIIe République, de présidents et hommes politiques qui écrivent. On pense à François Mitterrand qui se définissait comme écrivain, de Valéry Giscard d’Estaing élu à l’Académie française ou encore d’Emmanuel Macron, qui, sur sa photo officielle pose à côté d’un exemplaire du "Rouge et le noir" de Stendhal. "C’est très français, on ne trouvera pas ça ni en Allemagne, ni aux États-Unis !"
Si aujourd’hui la littérature "se veut politique", ce n’est donc pas "en adhérant à un camp mais en participant du jeu de la démocratie", pour le critique littéraire. Ainsi nos écrivains contemporains abordent-ils aussi bien la question des migrants, des sans-papiers, des personnes vulnérables... Et ils s’intéressent à l’écologie ou aux questions féministes "de manière extrêmement forte". "En faisant cohabiter des paroles contradictoires", ils "organisent le débat". Ils nous aident aussi à nous "projeter dans l’avenir" en produisant "des utopies".
La propre de la littérature, c’est "d’utiliser le langage pour réfléchir de manière peut-être plus intense, plus fine plus incarnée, plus concrète, à des problème moraux, éthiques, spirituels, culturels", selon Alexandre Gefen. "Et ça c’est quelque chose que des écrivains, qui sont des gens qui ont cette maîtrise du langage, des dispositifs, du style, par leur travail, font."
Mais la littérature c’est aussi l’œuvre des "écrivains du dimanche". Auteur de "Réparer le monde - La littérature française face au XXIe siècle" (éd. José Corti, 2017), Alexandre Gefen rappelle que 8 à 10% des Français ont fait l’exercice d’écrire leurs mémoires ou l’histoire d’un ancêtre. Une manière de "se réapproprier son histoire" qui "participe aussi de la littérature", affirme l’essayiste.
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