Avec plus de 450 kilomètres de bord de mer, la Charente-Maritime est un territoire témoin sur les enjeux qui entourent les littoraux français. Aujourd’hui, les digues découpent le paysage pour contrer les assauts de la mer. La protection des côtes s’inscrit donc dans une logique d’affrontement, de face-à-face avec la nature. Un paradigme qu’il s’agit de réinventer selon certains.
Au sud de La Rochelle, entre l’île de Ré et l’île d’Oléron, Châtelaillon-Plage affiche le visage calme d’une station balnéaire en hiver. Ce mercredi matin, la mer est douce et la plage au repos. Cette gigantesque plage, « le solarium » comme aime à l’appeler Stéphane Villain, maire de la commune, est régulièrement ré-ensablée. « On ajoute 100 000 m³ tous les trois ans » explique le maire. C’est son prédécesseur qui a pris l’initiative, dans les années 1980, alors que la plage de la commune n’existait presque plus : symbole de l’érosion littorale. Ajouter du sable, « c’est une bonne défense de côte, les milliards de grains de sable amortissent la mer lorsqu’elle est déchaînée ».
Si on descend cette plage, on arrive au sud de la commune et le sable laisse alors place à une digue, camouflée sous une promenade touristique. Long de 1,6 kilomètres, elle protège le quartier des Boucholeurs qui a été entièrement détruit lors du passage de la tempête Xynthia en février, faisant aussi deux victimes sur la commune. Le quartier est ensuite reconstruit et la digue existante réhaussée sur 1,50 mètres. « On est tranquille pour 30 ans selon les modélisations » assure le maire.
Xynthia nous a fait comprendre que notre protection de côte n’était pas suffisante
L’hiver 2010 restes un traumatisme pour la commune, mais aussi pour toute la Charente-Maritime et la Vendée. Xynthia c’est 47 morts sur toute la France et en Charente-Maritime c'est 40 communes submergées, 70 000 foyers privés d’électricité, 4 800 maisons inondées, 23 200 hectares de terre agricole submergés, exploitations agricoles fortement touchées, 120 km de digues endommagées et 40 km de voies départementales inondées. « On a alors compris que notre protection de côte n’était pas suffisante » témoigne Stéphane Villain. Dans la région, il y a donc un avant et un après Xynthia. Après la tempête, sont notamment créés les PAPI pour Programme d'Actions de Prévention des Inondations : à l’échelle locale, c’est presque un plan Marshall.
Entre sa plage et sa digue, Châtelaillon-Plage incarne les deux aléas majeurs lorsqu’on parle de protection de littoral : les submersions, notamment lors des tempêtes et l’érosion qui use la côte et réduit ce qu’on appelle trait de côte. En gros, le continent perd du terrain sur la mer. Le phénomène est naturel mais amplifié par les tempêtes et par la hausse du niveau de la mer. Selon la Loi Climat et Résilience adopté en août 2021 dernier sur environ 975 communes littorales françaises, 197 sont concernées par un recul moyen de leur trait de côte supérieur à 50 cm par an. Autre chiffre : selon Observatoire de la Côte Nouvelle-Aquitaine : l’érosion de la côte sableuse aquitaine pourrait atteindre les 50 mètres en moyenne d’ici 2050.
Avec la loi Climat et Résilience, l’État veut aussi dresser une liste de collectivités où les enjeux du recul du trait de côte, notamment le logement, sont les plus importants. Encore en cours d’élaboration, ce document sera fixé par décret et débouchera notamment sur des contraintes en matière d’urbanisme.
Selon Éric Chaumillon, professeur de Géologie marine et littorale au sein du laboratoire Littoral Environnement et Sociétés de l’université de La Rochelle, la question du logement fait partie des points centraux à repenser en terme de protection du littoral. « Il faut arrêter de construire dans les zones basses, sous le niveau de la mer, et dans les zones trop proches des dunes et des barrières ». L’idée est d’éviter des scénarios comme celui de l’immeuble Signal à Soulac-sur-Mer, qui a dû être évacué à cause de la menace de l’érosion de la falaise.
Il faut trouver des solutions fondées sur la nature
« Ce qui pourrait être intéressant c’est de trouver des solutions mixtes : protéger les espaces à forts enjeux en maintenant des défenses de côte, mais tout en développant des espaces naturels résiliants » expose Éric Chaumillon. Au-delà des aspects techniques et scientifique, son approche est culturelle : il s’agit de faire changer les mentalités, de questionner notre rapport à la nature. Jusqu’ici, notre rapport à la mer est vu comme un face-à-face, un combat. On gagne du terrain sur la mer, elle nous inonde, on construit des murs, etc… Le chercheur de l’université de La Rochelle essaie d’insuffler une autre vision.
« Il faut trouver des solutions fondées sur la nature » plaide-t-il. L’idée serait alors de laisser la nature évoluer par elle-même afin qu’elle puisse gérer les épisodes de montée des eaux ou de tempête elle-même. L’expérimentation pourrait par exemple être menée dans les marais. « En fait, lorsqu’on construit des digues, on interdit à la mer de rentrer, mais on interdit aussi les sédiments qu’elle transporte. Or, sans sédiment, on a forcément une érosion plus grande et un dénivelé allant croissant. Il faut donc autoriser la mer à rentrer afin qu’elle amène ses sédiments et qu’ainsi le sol monte en même temps que la mer. On entre alors dans un processus de résilience » conclu Éric Chaumillon.
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