L'autonomie en milieu rural est un thème incontournable de la campagne présidentielle. Incontournable mais parfois explosif. Baptiste Madinier s'est rendu en Nouvelle-Aquitaine pour constater les conséquences du manque de médecins et de la fracture numérique.
Ce lundi 31 janvier février débute "Présidentielle : la voix des régions", une série d'émissions spéciales à l'occasion de l'élection présidentielle pour donner la parole aux Français. Du 31 janvier au 8 avril, durant six semaines spéciales, des journalistes du réseau RCF vont sillonner six grandes régions françaises à la rencontre des citoyens, pour entendre leur voix sur des sujets essentiels de la campagne.
Du 7 au 11 février, la Nouvelle-Aquitaine est à l'honneur. Chaque jour dans la Matinale RCF, découvrez un reportage de 7 minutes (à 7h12). Rendez-vous le vendredi 4 février pour une matinée spéciale (de 6h30 à 11h) en direct de Bordeaux.
Les questions d’accessibilité en milieu rural sont des bombes à retardement pour les candidats à la présidentielle. Transports, handicap, santé, numérique... La liste des problématiques est longue et inégalement traitée par les prétendants à l’Élysée.
Lors de son déplacement dans le Limousin, les 24 et 25 janvier derniers, Emmanuel Macron a notamment choisit de concentrer son attention sur la question de la fracture numérique et celle des déserts médicaux. D’un côté l’État veut des services publics 100% digital d’ici la fin de l’année. De l’autre, six millions de Français n’ont pas de médecin traitant selon l’assurance maladie. Nous partons donc sur les traces du président.
Matinée ordinaire à Genouillac, dans le nord de la Creuse. Petite file d’attente devant la pharmacie du village. Une dame notamment fait la queue avec son fils, lorsqu’on lui parle de rendez-vous médical, la réponse est sans appel : "C’est hyper compliqué, notre médecin ne compte plus ses heures, il faut lui venir en aide !"
Ce canton et son voisin totalisent seulement quatre médecins pour couvrir tout le territoire. Un cinquième est décédé du Covid récemment. "C’était brutal, témoigne le docteur René Nicolas, médecin généraliste à la retraite, il a voulu continuer trop loin…" Les mots en disent long... Les chiffres aussi : ici, lorsqu’un médecin décède, au-delà d’une figure locale qui part, ce sont environ 1.000 patients qui se retrouvent sur le carreau.
"Aujourd’hui nous cherchons quatre médecins, car nous avons deux collègues qui arrivent à l’âge de la retraite. Si jamais, on trouve aussi un dentiste, un kiné, une sage-femme..." liste le docteur René Nicolas. Dans la Creuse, le nombre de généralistes a chuté de 23% sur les 11 dernières années selon les chiffres du conseil national de l’Ordre des médecins, si bien qu’aujourd’hui on compte moins de 100 généralistes pour 117.000 habitants. Le dossier est bien sur explosif alors que, selon l'Insee, un tiers des Limousins auront plus de 65 ans en 2040.
Devant ce constat et ces sombres prévisions pour l'avenir, le docteur René Nicolas s’est mobilisé avec une quarantaine d’autres soignants : ils ont créé l’association MarcheProSanté en 2019. Son but : mettre en commun les médecins, les aides-soignants, les infirmiers ou encore les aide-ménagers, car "c’est le seul moyen de travailler correctement ici", assure René Nicolas.
La mise en commun permet de travailler plus efficacement et de construire un parcours de soin coordonné. "Lorsqu’on intervient à domicile, les professionnels ne sont pas amenés à travailler ensemble au quotidien. Nous avons donc mis en place le logiciel Paaco-Globule, qui permet d’avoir des dossiers patients communs", explique Angela Chabroulet, directrice du service de soin à domicile de Genouillac et secrétaire de l’association MarcheProSanté. "On peut faire des transmissions, échanger des photos, faire des demandes de soins. Si une aide-soignante s’inquiète par exemple d’une plaie chez un patient, elle peut transmettre la photo à une infirmière puis à un médecin qui peut faire une prescription derrière."
Sur ce modèle de mise en réseau, les Agences régionales de santé (ARS) sont d’ailleurs en train de développer les CPTS (pour Communauté professionnelle territoriale de santé). Le principe est le même : coordonner les professionnels de santé, mais sur un territoire beaucoup plus grand.
En outre, d’autres solutions sont portées par l’État comme les maisons de santé, qui permettent de rassembler tous les professionnels au même endroit. Le gouvernement se targue d’être passé de 855 maisons de santé en France en 2017 à 1.889 à l’été 2021. Plus attractives pour les praticiens, ce genre de structures posent encore des questions en matière d’accessibilité, notamment pour les personnes âgées en pertes d’autonomie qui sont forcées d’aller sur place. Dans ce cas, des solutions comme la télémédecine ou téléconsultation peuvent aussi être une option. On touche alors à un autre problème d’accessibilité : celui du numérique.
Derrière sa magnifique abbatiale, la petite commune de Saint-Léonard-de-Noblat cache un lieu qui œuvre à résorber la fracture numérique. L’Escalier, nom de ce tiers-lieux, a été choisi par Emmanuel Macron lors de son déplacement de janvier, pour incarner l’action de l’État pour l’insertion digitale. Fixé par l’ancien Premier ministre Édouard Philippe en 2017 dans le cadre du Plan Action Publique 2022, l’objectif 100% de services publics dématérialisés doit normalement être effectif à horizon 2022. L’objectif affiché à l’époque est "d’améliorer la qualité des services publics" et "d’accompagner la baisse des dépenses publiques".
Sauf que cette dématérialisation a fait surgir un nouveau problème : l’illectronisme. Contraction d’illettrisme et d’électronique, cette notion concerne 14 millions de personnes en France selon un rapport du Sénat. "Aujourd’hui beaucoup de gens sont désorientés face à tous les guichets qui ferment et ils ne savent pas à qui s’adresser. Ils perdent en autonomie", explique Claire Gendronneau, responsable médiation numérique à L’Escalier.
"Avec tout ce progrès, il ne faut pas rester en recul", considère Jeannine, venue participer à un atelier de médiation numérique proposé par le tiers-lieu. "On n’a pas le choix", abonde son voisin, Lucien. "Si on ne se forme pas, on sera complètement déconnectés... Avec toute cette dématérialisation, nous sommes un peu délaissés à partir d’un certain âge." L’enjeu est donc technique, mais surtout social.
Et il ne concerne pas qu’un public senior. Selon les territoires, on retrouve des migrants, des personnes à faible capacité budgétaire, mais aussi des personnes moins âgées touchés par cette problématique de facture numérique. "On constate qu’il y a beaucoup de jeunes, confirme Agathe, conseillère numérique au sein de la communauté de communes, souvent les jeunes savent manier leurs applications téléphone à la perfection, mais ils vont avoir du mal à faire leur CV, à gérer leur compte AMELI où se rendre sur un site administratif."
Pour lutter contre l’illectronisme, le gouvernement veut recruter 4.000 conseillers numériques d’ici la fin de l’année. Ce sont des CDD de 18 à 24 mois, subventionnés par l’État à hauteur du Smic, avec une formation (de 105 à 420 heures) et une certification. Sont déjà entrés en fonction 1.706 conseillers numériques France services. 1.001 vont être formés et 590 sont en cours de recrutement, selon l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
L’Escalier forme ces futurs conseillers numériques et vient d’accueillir fin janvier sa deuxième promotion. Une fois diplômés, ils pourront travailler dans des communautés de communes, comme Agathe. Son champ d’action couvre 12 communes. Le but est donc d’aller vers des publics isolés. "L’idée est d’aller au plus proche des gens", acquiesce Agathe.
En milieu rural, pour lutter contre les déserts médicaux ou la fracture numérique, le maître-mot est la mobilité.
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