Il y a deux ans, nous entrions en confinement. Souvenez-vous : pour les plus privilégiés, le repli en famille dans les maisons de campagne, la découverte d’une autre façon de travailler, le retour à la nature. Pour d’autres, la cohabitation forcée dans de petits espaces, avec l’exaspération et les violences -souvent- qui vont avec, la dépression aussi. Pour d’autres hélas, la mort, la maladie et aujourd’hui des Covid longs, qui n’en finissent plus…
A regarder en arrière, ce qui me marque le plus dans cette incroyable période que nous avons traversée, c’est notre impressionnante capacité de déni. Fin février 2020, mon fils -j’évoque souvent mes enfants ces temps-ci…- rentre d’un reportage en Corée. Il est estomaqué : alors que là-bas tout le monde est déjà masqué et extrêmement prudent, on ne lui demande rien à l’aéroport, à son retour. De lui-même, il se confine 15 jours, l’un des premiers sans doute… Tout juste si on ne lui rit pas au nez. La suite, on la connaît, avec, au début, cette croyance partagée du haut en bas des responsabilités, qu’on va y échapper, même quand la crise s’aggrave en Italie toute proche.
Pourquoi cette capacité si forte chez l’humain à se voiler la face et à se mettre la tête sous l’aile ? A l’échelle individuelle comme au plan national, le temps de réaction aux catastrophes qui s’annoncent est infiniment long. Et cette tendance au déni est bien ce que nous venons de vivre, à nouveau. Personne ou presque -à part Joe Biden, lucide cette fois-là- n’a voulu croire à l’imminence de la guerre. Les témoignages des Ukrainiens eux-mêmes le prouvent. Mais c’est la même chose à tous les niveaux.
Dans une approche psychologique, le déni désigne le refus de reconnaître la réalité d’une perception traumatisante. Il s’agit d’un mécanisme de défense inconscient qui permet de préserver le sentiment de sécurité et protège de l’angoisse. Est-ce, à l’échelle des nations, ce qui nous est arrivé ? La guerre est-elle une réalité devenue tellement étrangère à nos vies d’Européens privilégiés, tellement invraisemblable, que nous n’avons pas pu y croire ? Sommes-nous tellement “démocrates”, attachés à ce régime imparfait mais indépassable, que nous avons nié l’importance des tyrans ?
Je n’ai pas de réponse mais une chose me paraît désormais évidente : notre sentiment de sécurité à jamais, dans des pays certes inégalitaires mais solides, s’est envolé. Personne ne sait jusqu’où ira Poutine, ce que fera la Chine… Alors face à cette angoisse, plutôt que le déni, choisissons la solidarité.
Nathalie Leenhardt est journaliste, ancienne rédactrice en chef du magazine Réforme. Chaque semaine, écoutez son édito dans La Matinale RCF.
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