Il reste un mois avant la première session plénière du nouveau Parlement européen. Le 16 janvier prochain, les députés nouvellement élus s’installeront dans leurs quartiers à Bruxelles avec une composition changée. Si le groupe majoritaire des Démocrates-Chrétiens reste majoritaire, l’extrême droite s’est renforcée. Sylvain Khan, spécialiste des questions européennes, nous aide à comprendre cette nouvelle composition.
Sur les 81 membres de sa liste aux élections européennes, le Rassemblement National en enverra 30 à Bruxelles, 12 de plus qu’aux dernières élections. Un raz-de-marée bleu marine assez singulier dans l'Union européenne selon Sylvain Khan. « Il n’y a qu’en France qu’un parti d’extrême droite arrive en tête, mais surtout qui fait plus de deux fois le score du parti qui est au gouvernement. »
Pourtant, certains de nos voisins européens aussi ont voté majoritairement pour des partis d’extrême droite. C’est le cas en Italie, Autriche et Hongrie. « Il y a tout de même eu un léger recul du chef du gouvernement d’extrême droite Victor Orban en Hongrie, modère Sylvain Khan. C’est un signal faible, mais c’est la première fois depuis 2010 qu’il subit une inflexion. »
Une fois installé reste cependant le défi de réfléchir et de voter des politiques ensemble. Un défi qui fait face aux nouveaux députés européens d’extrême droite. « Au Parlement européen, Victor Orban a joué pendant des années un rôle de pont entre la droite classique, comme le PPE, et les droites radicales, » rappelle Sylvain Khan.
S’ajoute à cela la discussion interne à extrême droite, puisque dans l’Union Européennes, il y a des extrêmes droites plutôt qu’une extrême droite. Contrairement à la droite traditionnelle, majoritairement réunie dans l’Eurogroupe PPE (Parti Populaire européen), les différents partis issus des extrêmes droites sont répartis entre le Groupe des Conservateurs et Réformistes européens et l’ID (Identité et Démocratie).
Malgré son renforcement au Parlement l’ID y est aujourd’hui marginalisée. « Le RN qui fait partie d'ID, a une réputation. Eux comme leurs collègues de l’Afd Allemande ou encore du PVV aux Pays-Bas, sont très peu investis dans le travail parlementaire au sein du Parlement européen. » À tort ou à raison, selon le spécialiste européen Sylvain Khan, Jordan Bardella et Marine Le Pen cherchent à sortir de cette situation depuis quelques semaines, mais cela reste « compliqué ».
Malgré une poussée de l’extrême droite, la première force politique au Parlement européen reste tout de même le groupe des Démocrates-Chrétiens (PPE). De 176 sièges lors de la dernière législature, il devrait en contrôler 185 pour la législature 2024-2029.
Le PPE est davantage obligé de tenir compte des idées de l’extrême droite parce qu’elle se dispute la même clientèle électorale.
Selon Sylvain Khan, il ne faut pas pour autant considérer que le groupe parlementaire n’est pas impacté par le fait que les deux groupes parlementaires qui sont à sa droite aient augmenté leurs scores et leurs nombres de députés. « La droite qu’on peut appeler démocrate-chrétienne est classiquement conservatrice, et l’est même davantage qu’en 2019 sous l’influences des idées de radicales et extrêmes. »
L’alliance avec eux devient intéressante non seulement pour des raisons d’objectifs communs que des raisons nombres. À leur gauche, le groupe Renew Europe, auquel le parti d’Emmanuel Macron appartient, sort particulièrement affaibli des élections du 9 juin. De 101 sièges, ils n’en auraient que 79 à partir de 2024. De même pour les Verts/ALE qui perdent 20 sièges.
Reste à savoir sur quels points chacun pourra s’entendre. « Les groupes nationalistes européens sont convergents sur beaucoup de points comme la question migratoire. Mais prenons exemple du soutien à l’Ukraine. Le PiS polonais et Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni sont pour alors que beaucoup de partis membres de ID comme le rassemblement national ou le PVV néerlandais sont plutôt pour ne pas trop soutenir l’Ukraine et être très complaisant avec la Russie de Poutine, » détaille Sylvain Khan.
Un point que le spécialiste de l’Europe juge être clé pourtant dans le travail de la prochaine législature. « L’Europe est au pied du mur, rappelle-t-il. Elle ne peut pas en même temps dire qu’elle soutient l’Ukraine, y envoyer des armes, dire qu’elle est en capacité de se défendre en cas d’agression extérieure sans avoir une politique européenne de la défense digne de ce nom. » Reste à débattre des différentes solutions possibles pour créer concrètement une « Europe de la défense. »
Autre point délicat, le pacte vert. Proposé par la Commission européenne en 2019 pour accélérer et à accompagner la transition énergétique dans l’UE, de nombreux textes sont aujourd’hui déjà votés, mais font toujours débat.
Par exemple sur l’interdiction de vendre des véhicules thermiques neufs à partir de 2025. « Il y a déjà des partis qui disent qu’il ne faut pas faire ça, explique Sylvain Khan. Parce que ça veut dire importer des véhicules neufs chinois puisque l’Europe n’a pas les capacités de les produire. » Des partis qui comprennent le RN.
« L’enjeu, c’est la mise en œuvre. Elle doit être tolérable et tolérée par la société européenne. Donc est ce qu’il faut l’édulcorer en le mettant en œuvre ? Est ce qu’on le maintien dans l’état ? Là va être un grand débat. »
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