Le 3 décembre 1983, une foule immense envahit la place de la Concorde à Paris. 100 000 personnes, dont une partie a traversé la France du sud au nord pour lutter contre le racisme qui gangrène alors la société française. Un grand mouvement non-violent qui a encore du mal à se faire une place dans la mémoire collective.
C'est un jour de marché à Vénissieux. Les rayons de soleil d’octobre réchauffent les cœurs entre les étals de fruits et légumes, et le prêt-à-porter. Il y a quarante ans, à quelques rues d’ici, un groupe de jeunes Maghrébins, de ces Français dits alors de la « deuxième génération », avaient décidé de partir marcher. Ils avaient choisi la non-violence face à la spirale de violence raciste.
Mais ce matin-là, quand on évoque « la marche pour l’égalité et contre le racisme », nombreux sont les passants qui bottent en touche. Certains en ont entendu parler « à la télévision » ces derniers jours, en amont de la commémoration des 40 ans ou sur grand écran, lorsque le film La Marche de Jabil Ben Yadir est sorti en 2013, « avec Jamel Debbouze » se souviennent certains passants. Et puis il y a ceux, accoudés au café du marché, qui y étaient. Abdou et ses copains avaient moins de vingt ans à l’époque. « C’était une belle époque, c’était quelque part une révolution. On voulait s’exprimer », ajoute l’un des clients du café, qui a vu passer la marche.
Difficile de savoir pourquoi la marche pour l’égalité et contre le racisme ne fait pas encore partie de l’histoire collective. Elle ne figure pas dans le programme de l’Éducation nationale, et n’a pas encore de place dans les musées, même si cela va changer. Depuis quelques semaines, le musée d’Histoire de l’immigration de la Porte Dorée lance un appel à collecte pour mettre la main sur des affiches, vêtements et badges de l’époque et les inscrire dans sa collection.
Le traitement médiatique aussi de la marche commence à changer. Les deux premiers anniversaires ont été célébrés plutôt en catimini, quand le trentième en 2013 a été propulsé par la sortie du film La Marche, la publication d’ouvrages, la création d’œuvres d’art.
Mais ce qui constitue aussi un frein dans la transmission de cette mémoire dans les quartiers populaires, selon Philippe Hanus, historien et coordinateur de l’ethnopole migration, frontière et mémoires à Valence, c’est qu’entre « 1983 et 2023, il s’est passé énormément d’évènements durs (…). Les grandes émeutes de 2005 et en début de l’été, le meurtre de Nahel à Nanterre. D’un seul coup la marche, son héritage s’est écrasé sous le magma bouillonnant de l’état de la société d’aujourd’hui ».
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !