Un an et demi après le vote de la loi les interdisant, un reportage a montré que les thérapies de conversion, ces pratiques visant prétendument à « guérir » l’homosexualité ou la transsexualité, avaient toujours lieu en France. Une association protestante évangélique est mise en cause. Le gouvernement a saisi la justice.
C’est un reportage filmé en caméra caché qui a relancé la polémique. Une journaliste de BFM TV a infiltré une session d’été organisée par l’association évangélique Torrents de vie, en se présentant comme une étudiante attirée par les femmes. Pendant plusieurs jours, des prières et des échanges en petits groupes ont été organisés pour tenter de la faire « renoncer au feu du désir », autrement dit à son homosexualité.
Un modus operandi que connaît bien le journaliste Timothée de Rauglaudre, qui a enquêté sur cette association pour son livre-enquête « Dieu est amour » (Flammarion, 2019), co-écrit avec Jean-Loup Adénor : « la manière dont est présentée l’homosexualité chez Torrents de vie, c’est à la fois une déviance psychologique liée à une mauvaise construction affective à l’enfance et la conséquence d’une possession démoniaque et donc c’est comme ça qu’on peut avoir des prières de délivrances, pendant lesquelles les personnes vont se mettre à pleurer ou à hurler très fort ».
Ces méthodes fortes ne sont pas sans conséquence sur la santé psychologique. « On ne guérit pas de l’homosexualité, ni de la transidentité, ce ne sont pas des maladies », martèle Benoît Berthe, le porte-parole du collectif « Rien à guérir », qui représente des rescapés de thérapie de conversion. Il ajoute : « quand on essaye à la force des choses de changer ce qui ne peut pas changer, ça crée un trouble extrêmement fort et ça met en danger la personne ».
Bien que les thérapies de conversion soient désormais interdites, et que plusieurs organismes étaient connus pour en pratiquer, aucun n’a été inquiété depuis le vote de la loi en 2022. D’abord parce que la loi n’est pas rétroactive. Il fallait donc attendre qu’une victime porte plainte pour qu’une enquête soit lancée. Une disposition qui n’est pas idéale selon Benoît Berthe pour qui les victimes sont souvent trop fragiles pour porter plainte dans l’immédiat. « Nous on avait demandé à pouvoir se porter partie civile, malheureusement ça a été mal rédigé », déplore-t-il.
De plus, les associations ont su se faire discrètes ces derniers temps. Et pour mieux dissimuler leurs activités frôlant l’illégalité, elles invoquent la liberté de religion et emploient des euphémismes. Comme lors de l’audition des deux cadres de Torrents de vie devant les parlementaires en 2019. Les pasteurs assuraient alors qu’ils ne guérissaient pas l’homosexualité, « mais les blessures de l’âme ».
Cette fois, l’intervention du gouvernement a permis d’accélérer les choses. La Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) et la Dilcrah (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) ont été saisies. Elles sont chargées d’enquêter sur l’association et ont d’ores et déjà saisi le procureur de la République.
D’après la récente loi, le directeur de Torrents de vie encourt deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende. Une peine qui pourrait être alourdie si des jeunes mineurs ont fait partie des victimes. Plus que cela, le gouvernement envisagerait même une dissolution de l’association. Une décision qui ne serait pas bénéfique d’après Timothée de Rauglaudre : « dissoudre une structure ça ne ferait que déplacer le problème. Les personnes qui suivent à ce genre de stages sont souvent isolées et fragilisés, et donc il faut s’assurer qu’elles ne se retrouvent pas dans la nature ».
Au-delà du passage de la justice, le journaliste réclame une réaction des institutions religieuses elles-mêmes. « Rien ne changera, dit-il, tant que des parcours comme Torrents de vie recevront du soutien, notamment de la part du CNEF ». Contacté, le Conseil national des évangéliques se défend, estimant que le reportage ne prouve rien. « C’est un signalement qu’on prend au sérieux […] Maintenant, tant qu’il n’y a pas une altération de la santé physique ou mentale ou une atteinte à la volonté ou la liberté des participants, on a du mal à faire des remarques agressives à Torrents de vie sur cette nature-là », estime le directeur communication du Cnef, Romain Choisnet. Car c’est une autre disposition de la loi : il faut prouver que ces pratiques ont pour conséquence une « altération de sa santé physique ou mentale ». Autre problématique de cette loi.
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