Grenoble
Avec 220 000 nouveaux cas par an, la maladie d'Alzheimer touche aujourd’hui plus d’un million de personnes en France, dont 33 000 de moins de 60 ans. Mais pourquoi suscite-t-elle toujours cette peur ? Quel lien entretenir avec le conjoint malade ? En quoi peut-elle bouleverser tout un équilibre familial ? Décryptage de Benoit Durand, directeur délégué de France Alzheimer et d'Elisabeth Marcenac, psychologue gérontologue et Thierry de Cacqueray, auteur du livre témoignage "La mémoire du cœur".
Alzheimer. Voilà plus d’un siècle que le neuropsychiatre allemand Aloïs lui a donné son nom, après l’avoir identifiée en 1906. Mais pourquoi toujours cette peur en l’évoquant ? "C’est une maladie qu’on connait encore mal, qui stigmatise et qui surtout isole l’aidant, par honte des réactions du malade." explique Benoit Durand, directeur délégué de France Alzheimer. A cela, on peut rajouter la difficulté de trouver un traitement curatif et le fait qu’elle puisse toucher des patients encore jeunes. Témoin l'émouvant roman "Tout le bleu du ciel" de Mélissa da Costa, autour d'un jeune homme atteint à 26 ans.
Mais en quoi la perte de mémoire, qui lui est associée, entraine une crainte plus grande que de perdre la vue ou ses bras ou jambes ? "La mémoire, c’est la transmission", souligne la psychologue Elisabeth Marcenac. "C’est le lien avec une famille. Et personne ne se reconnait. Le malade, puisqu’il perd la mémoire et les aidants, qui voient la personne s’effacer." D’où l’expression de "deuil blanc" pour illustrer ce décalage avec un parent toujours vivant, mais qui n’est plus celui qu’on a connu.
Mais comment gérer l’annonce de cette maladie ? Si pour beaucoup, c'est un monde qui s'écroule, pour Thierry de Cacqueray, dont la femme Carole, a été diagnostiquée à 57 ans, "Ca n’a pas été un choc." confie-t-il." Je m’y attendais, même si j’espérais que ce soit autre chose. » Une maladie qui rongeait pourtant son épouse depuis une quinzaine d’années, avec des oublis de plus en plus fréquents, "alors qu’elle avait une mémoire d’éléphant ."
Une annonce faite en tout cas avec beaucoup d’humanité par la neuropsychologue, qui a ensuite informé sur un parcours de soins : consultations mémoire, orthophonie et renvoi vers des associations , comme France Alzheimer pour se faire accompagner. "Une orientation qui est loin d’être généralisée dans toutes les structures." déplore Benoit Durand. "Il y a encore cette barrière avec le médicosocial et on milite pour que cette barrière saute ». Mais il n'y a pas que cet obstacle. "Encore faut-il que le proche reconnaisse ce nouveau statut d’aidant, qu’il y a une autre relation qui va s’installer." précise Elisabeth Marcenac
Car du soutien, l’aidant va en avoir besoin pour continuer à être "l’aimant", expression chère à la psychologue Elisabeth Marcenac. D’abord, pouvoir prendre le temps de se consacrer au malade. Thierry de Cacqueray, lui, n’a pas hésité à arrêter son activité professionnelle, à un an de la retraite, encouragé par son employeur. Une disponibilité qui reste à améliorer. Si la loi a bien prévu depuis 2020 un congé du "proche aidant", il reste limité dans le temps et son indemnisation. Sans compter les frais de placement en institution. A quand donc un vrai statut de l’aidant ? Une question qu’il faudra bien résoudre, avec plus de deux millions de malades estimés en 2050 "Si on n’investit pas aujourd’hui, cela va coûter encore plus cher demain !" prévient Benoit Durand
En attendant, comment maintenir le lien avec un proche, dont la santé mentale et physique va se dégrader ? Garder calme et patience, quand les oublis se multiplient ? "Lui rappeler sans arrêt ce qu’on vient de lui dire, ce n’est pas une bonne réponse." explique Elisabeth Marcenac, qui poursuit :"Dans l’idéal, il faut apprendre à lâcher prise. Mais c’est aussi difficile à mettre en place parce qu’on est souvent en colère face à cette maladie". D’où la nécessité de prendre du répit pour éviter l’épuisement, voire une forme de maltraitance. Pas évident pourtant de s’absenter quelques heures ou quelques jours sans culpabiliser quand l’aidant est devenu le seul repère. Un cap que Thierry de Cacqueray reconnait avoir su franchir aujourd’hui et dont il a fait sa devise du fameux "Carpe Diem", vivre le présent au jour le jour.
Alzheimer, une maladie qui peut aussi modifier aussi les relations familiales. Ce dont témoigne Marie José, auditrice, qui a accueilli son père chez elle pendant trois ans. "Trois années de grâce" explique-t-elle, "où moi, jeune fille rebelle, j’ai pu pour la première fois prendre dans mes bras un père autrefois autoritaire et lui dire des choses gentilles. C’était extraordinaire !"
Un changement de rapports qu’a aussi noté Thierry de Cacqueray auprès de ses 8 filles. Si la peur, la tristesse ou la colère ont été vives au moment de l’annonce, "La relation s’est aujourd’hui épurée et simplifiée." De nouveaux liens, qui peuvent entrainer des rapprochements ou des éloignements. "Tout est possible", estime la psychologue gérontologue. "Tout dépend de sa propre sensibilité et de ses capacités à accepter ou pas cette maladie » Et pour le conjoint, le malade et ses enfants, de pouvoir conserver cette "mémoire du cœur", celle qui ne s'efface pas ...
Pour aller plus loin :
"La mémoire du coeur" de Thierry de Cacqueray : un livre témoignage simple et éclairant sur les cinq années traversées avec sa femme Carole, depuis l'annonce de sa maladie, avec les réactions de ses huit filles et petits-enfants. Editions "le Lys bleu"
France Alzheimer : l'union nationale de 101 associations locales. Formation des aidants, groupe de paroles, ateliers mémoire, un soutien indispensable pour accompagner et ne pas rester isolé. Pour trouver une 'adresse dans votre département: https://www.francealzheimer.org/
La fondation "Vaincre Alzheimer" : le point notamment sur les traitements et la recherche. La fondation a également créé le site "ALzjunior" à destination des enfants et ados por mieux comprendre la maladie, à travers une BD et des activités à faire seul ou en groupe. https://www.alzjunior.org/
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