Réseaux sociaux, jeux, musique et vidéo, votre ado est tout le temps plongé sur son smartphone. Et cela vous exaspère en tant que parents. Mais pourquoi cette addiction ? Comment réagir sans interdire ? Décryptage de Jean Pouly, spécialiste du numérique et fondateur des ateliers "Smartphone show".
"Moi, mon portable, je l’ai eu dès le CE 2. Aujourd’hui, je le branche dès 6h30 en me levant et jusqu’à minuit . Impossible de m’en passer !" déclare en toute franchise Thomas*, 16 ans. Et il n’est pas le seul. Une nouvelle dépendance qui s’explique par les sciences et dont il est possible de s’extraire, à condition de s’impliquer aussi en tant que parents ...
Onze ans, dès l’entrée au collège. C’est l’âge moyen où l’enfant reçoit son premier portable. Mais cela peut être beaucoup plus tôt, dès le CP. Un moyen surtout de rassurer les parents, pour savoir où est l’enfant, s’il a pris son bus ou est bien arrivé à la maison. Une fausse bonne raison pour Jean Pouly : "Sous prétexte de liberté, om met déjà une sorte de laisse digitale à nos enfants, on induit une surveillance, alors qu’à cet âge –là, c’est l’apprentissage de la séparation avec ses parents ». D’où ce premier conseil : si besoin il y a, se contenter d’un modèle de base, sans connexion internet, pour simplement appeler ou envoyer des textos.
Mais l’enfant va grandir. Envie de se connecter aux autres, de partager musique ou vidéos, autant de besoins à l'adolescence que permet le smartphone. Quel âge avant de céder à la pression ? "Pas avant d’entrer au lycée", estime l’expert en numérique. "15 ans me semble correct pour le niveau de maturité d’un adolescent, qui va en avoir un usage plus raisonnable ». Une analyse que nuance le psychanalyste Saverio Tomasella, auteur d’un guide sur le harcèlement scolaire. "Les recherches ont montré qu’ un cerveau rationnel capable de prendre de la distance, de réfléchir , de décider ce qui est bon pour nous, met 30 ans pour se développer. Ce qui n’est pas le cas à 15 -17ans. Un ado aura donc besoin de ses parents pour prendre du recul."
Prendre du recul ? Pas évident. Parents ou ados, pourquoi est-il si difficile de se détacher de cet appareil, au point de souffrir de nomophobie, contraction de no mobile phone et phobia en anglais ? La réponse est à chercher dans les technologies persuasives, mises en évidence dès 1996 par le chercheur américain Brian Fogg. Un croisement entre les sciences comportementales et les programmes algorithmiques.
Au départ vertueuse, pour adopter de bons comportements, cette démarche a été détournée dans une sorte de « neuro piraterie » où le butin serait de capter notre attention. "Car notre attention vaut cher", rappelle Jean Pouly, qui précise: "Ce sont nos données qui sont collectées et derrière, ce sont des annonceurs et de la publicité. Le modèle économique de notre société d’information. »
Exemples directs de cette "captologie" : les notifications, qui s’appuient sur le réflexe archaïque de se préserver d’un danger. Sauf qu’aujourd’hui, ces alertes ne concernent plus une bête sauvage. Mais des appels incessants pour des messages personnels, produits ou services. Autre illustration : le scrolling, ce défilé sans fin de vidéos sur les réseaux sociaux. Un procédé qui correspond au besoin ancestral d’information pour sa survie. "Avec ce système, le besoin n’est jamais satisfait, comme un puit sans fond où l’ado est capable de passer des heures sans s’en rendre compte" explique Jean Pouly.
Comment alors réagir face à son ado toujours plongé sur son smartphone ? Lui supprimer ? Quasi impossible aujourd'hui et surtout illusoire. Limiter à certains moments ? Plus jouable. C’est le cas chez Chloé*, 15 ans : "Pas de portable pendant les repas, et extinction avant d’aller se coucher pendant les jours d’école." Des règles pas toujours suivies par les adultes. "Ma mère me demande souvent de l’éteindre, alors qu’elle continue de se servir du sien, officiellement pour son travail ..." déplore Mattéo*, 12 ans. Pas étonnant pour Jean Pouly : "Il y a souvent un vrai déni chez les parents, qui ont du mal à reconnaitre eux-mêmes cette dépendance et qui passent encore plus de temps que leurs enfants sur les écrans."
Réfléchir ensemble sur une utilisation raisonnée du portable. C’est justement le but du "Smartphone show » mis en en place par l’expert en numérique. Des ateliers qui réunissent en binôme parents et ados. Pendant 2h 30, une dizaine de "Super pouvoirs" sont ainsi étudiés, dans leurs aspects positifs et négatifs. Le cas des réseaux sociaux, qui relient mais assujettissent. C’est celui qu’ont choisi Sophie et sa fille âgée de 15 ans. "Cela nous a permis d’être plus attentive l’une à l’autre." confie Sophie. "Aujourd’hui, elle n’a plus peur de me montrer les applications qu’elle utilise et nous en discutons ensemble, en rappelant les engagements pris pendant l’atelier."
En bref, le portable, un outil à ne pas diaboliser, mais à manier intelligemment et en famille. "D'ailleurs, il y a une vraie lucidité aujourd'hui chez les ados à attendre un cadre de leurs parents." constate Jean Pouly. D’où l’importance de renouer le dialogue entre génération, une première piste pour aider à "décrocher" !
* prénoms d'emprunt
Pour aller plus loin:
"Le smartphone show" : des ateliers parents-ados pour réfléchir sur l'usage du portable au quotidien. https://www.smartphoneshow.fr/
Intervention de Jean Pouly au Forum européen des addictions consacré aux addictions : https://youtu.be/KIKu0lTSnGQ
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