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Alors que les enfants et adolescents passent de plus en plus de temps devant leurs téléphones et tablettes, le psychiatre et chef du pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, à Poitiers Ludovic Gicquel alerte sur les effets invisibles mais bien réels de cette surexposition. Le monde virtuel devient un refuge face à un réel perçu comme anxiogène.
« Moi je suis le docteur des soucis », lance avec humour Ludovic Gicquel, Chef du Pôle Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent à Poitiers. Mais derrière le ton léger, le constat est grave : les écrans, omniprésents dans notre quotidien, deviennent un refuge pour les jeunes, souvent au détriment de leur bien-être psychique et social.
Dès le début, le professeur Gicquel pose la question centrale : « Pourquoi ce monde virtuel devient-il plus attractif que le réel ? » Selon lui, ce basculement traduit une forme de refuge face à un monde perçu comme anxiogène. Les jeunes ne fuient pas uniquement vers les écrans par goût ou habitude, mais aussi parce que le réel devient difficile à affronter : « Le monde est perçu comme dangereux, tandis que la maison et ses écrans offrent une fausse sécurité. »
Cette lecture rappelle une société marquée par la peur : peur de la rue, de l’inconnu, de l’autre. « On voit de moins en moins d’enfants aller seuls acheter le pain à 500 mètres de chez eux », note-t-il. Une remarque anodine, mais qui dit beaucoup : le monde extérieur se ferme, pendant que le monde numérique s’ouvre en grand.
Le professeur Gicquel insiste : les dangers des écrans ne sont pas toujours immédiats. Contrairement aux risques physiques, perceptibles et concrets, l’exposition prolongée au numérique agit de manière invisible, sur le long terme. « On est dans l’effet papillon », explique-t-il. « Ce qui est absorbé à 3, 6 ou 9 ans peut se manifester à l’adolescence. »
Ce décalage temporel contribue à désarmer les parents. L’enfant ne semble pas souffrir, alors pourquoi s’inquiéter ? Pourtant, les troubles du sommeil, l’anxiété ou les difficultés de concentration peuvent s’installer lentement, sans bruit, jusqu’à ce que la situation se dégrade.
« Ce n’est pas un doudou numérique, c’est une veilleuse moderne. »
Autre observation : le rôle rassurant des écrans, notamment au moment du coucher. « Certains enfants ont besoin d’une tablette ou d’un smartphone pour s’endormir », observe le pédopsychiatre. Une manière de lutter contre les angoisses nocturnes, comme jadis avec une veilleuse. « Ce n’est pas un doudou numérique, c’est une veilleuse moderne. »
Mais que se passe-t-il quand cet usage perdure, ou se généralise ? Là encore, la frontière entre apaisement et dépendance devient floue. D’où l’importance, selon le professeur Gicquel, de poser un cadre clair dès le plus jeune âge.
L’addiction aux écrans ne se résume pas aux jeux ou aux vidéos. Elle passe aussi, et de plus en plus, par les réseaux sociaux. Se mettre en scène, se montrer, se comparer. « Nous sommes des êtres sociaux », Ludovic Gicquel, « mais avec les réseaux, on passe du 1 pour 1 à 1 pour 1 000, voire 100 000. »
Il évoque aussi le recours massif aux filtres, ces outils qui embellissent les images jusqu’à en effacer la réalité. Une métaphore culinaire vient éclairer son propos : « Si on ne mange que des aliments avec des exhausteurs de goût, les aliments naturels nous paraissent fades. C’est la même chose pour l’image de soi. »
Face à cette omniprésence, certains collèges ont décidé de confisquer les téléphones portables dès l’entrée en classe. Une décision saluée par le professeur : « C’est une très bonne chose. Les adolescents ne sont pas toujours capables de se limiter seuls. »
Il insiste sur le rôle éducatif des adultes, et notamment de l’institution scolaire, dans l’accompagnement des usages numériques. Loin d’être une punition, ces interdictions temporaires redonnent à l’école sa fonction d’espace protégé, propice à la concentration et à l’échange réel.
Mais qu’en est-il à la maison ? Comment les familles peuvent-elles faire face à un outil aussi puissant ? Le professeur Gicquel le reconnaît : c’est un véritable défi. « Les parents sont fatigués. Ils doivent être vigilants en permanence. Or leur concurrent, lui, ne dort jamais. »
Il appelle à intégrer le numérique dans le style éducatif, sans le diaboliser, mais en posant des règles claires. Car une chose est sûre : « Poser des limites à l’adolescence si elles n’ont pas été posées avant, c’est très compliqué. »
Enfin, au détour d’une question sur le contrôle parental, le professeur évoque un sujet brûlant : la vérification de l’âge sur les sites sensibles, notamment pornographiques. Il dénonce l’inefficacité des simples déclarations d’âge en ligne et appelle à un encadrement légal plus strict, à l’image de ce qui se fait pour le tabac ou les jeux d’argent.
À la fin de l’échange, Ludovic Gicquel évoque une tribune portée par la Société française de pédiatrie, qui appelle à repousser l’âge du premier écran à 6 ans. Une prise de position claire, en phase avec son diagnostic clinique.
Entre protection et éducation, encadrement et responsabilisation, le numérique exige de la nuance. Mais surtout, il exige une vigilance collective. Parents, éducateurs, institutions : tous sont concernés. Car les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain et leur équilibre mental mérite plus qu’un simple contrôle parental.
Pause Famille est une émission proposée par la Pastorale des Familles du Diocèse de Poitiers.
Les émissions sont animées par Maryvonne VERNEAU.
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