Alsace
On se souvient de la performance de Stromae, un dimanche soir, dans le "20 heures" de TF1, où il a interprété sa chanson "L’enfer". Un titre qui évoque la dépression qu'il a traversée. Cette maladie grave toucherait en France près d’une personne sur cinq au cours de sa vie. On en parle sur RCF, alors que les chrétiens sont entrés dans la Semaine sainte : un sujet que l'on porte avec la conviction que, aussi long soit le tunnel, la lumière est là, au bout, qui nous attend.
La pandémie de Covid-19 et les phases de confinement ont eu "des conséquences sur la santé mentale des Français", selon Santé publique France. La guerre en Ukraine ou le réchauffement climatique peuvent aussi susciter beaucoup d'angoisse chez nos contemporains. Mais quelle est la différence entre les troubles psychiques, l’anxiété et la dépression ? On a tous aussi "des humeurs cycliques", note le psychologue clinicien et psychanalyste Édouard Bertaud. "Ça fait aussi partie de cette condition humaine et ce n’est pas toujours bien accepté..."
Mal-être, déprime, dépression... De quoi parle-t-on ? "Ce n’est pas facile de trouver une définition de la dépression, rappelle le psychologue, ça fait partie du grand spectre des troubles de l’humeur." La dépression se manifeste par une "douleur morale", une "perte d’élan vital", un "ralentissement psychomoteur", ou encore "la perte d’appétit ou du sommeil". C'est un mal qui dure en général au moins plusieurs semaines, qui provoque une rupture dans la vie de la personne, dont les proches remarquent qu'elle a changé. Celui ou celle qui souffre de dépression "est tout à fait conscient de son état" et affirme généralement ne plus avoir envie de rien.
La dépression, c’est comme "un filet", pour le philosophe Denis Moreau. "Quand on est pris dedans, plus on se débat plus on s’empêtre", décrit-il. Dans son livre "Résurrections - Traverser les nuits de nos vies" (éd. Seuil), il écrit un très beau passage sur la dépression. Elle ressemble selon à un puits, à "cette lente coulée dans la noirceur, avec le cercle de lumière de la vie ordinaire qui se rétrécit petit à petit jusqu’à devenir un minuscule point lumineux…"
Pour l'essayiste et chroniqueur RCF François Huguenin, la dépression a l’effet d’une enclume et d’un étau. Il décrit la sensation "d'une pression sur la poitrine", d'un "poids insupportable". François Huguenin est l'auteur d'un ouvrage très personnel, "La nuit comme le jour est lumière" (éd. Cerf), où il raconte son compagnonnage avec Julien Green et comment cette lecture l’a aidé à comprendre qui il est et de quoi il souffre. Pour lui, la dépression, c’est dans tout le corps qu’on la ressent. "Je dirais même que le corps, normalement, si on l’écoute, on a les premiers signaux avant-coureurs avant qu’on le sache mentalement."
"Une des facettes de l’épreuve, c’est la difficulté à dire les choses", ajoute Denis Moreau. Cette "difficulté à dire aux autres et à soi ce que l’on ressent", on la retrouve dans plusieurs ouvrages. Ainsi celui de Philippe Labro, "Tomber sept fois, se relever huit" (éd. Albin Michel, 2003), dans "Yoga", d’Emmanuel Carrère (éd. POL, 2020) ou encore dans ce "livre très puissant", selon Denis Moreau : "Face aux ténèbres. Chronique d'une folie" (éd. Gallimard, 1990), de William Styron. Des livres qui, "tous insistent sur le caractère indicible des souffrances que l’on traverse".
"Il n’y a pas de plus grande souffrance que la solitude qui, seule, laisse entrevoir ce que peut être l’enfer", écrit François Huguenin dans son ouvrage. Stromae lui aussi compare la dépression à l'enfer. "Je crois que l’enfer c’est le vide et que le vide il n’y a rien de pire", confirme François Huguenin. Pour lui, "la chose la plus dure dans la dépression", c’est "d’être seul". Ainsi, le moyen d’en sortir c’est de "parler à quelqu’un".
"Une vie sans épreuve ça n’existe pas", rappelle le philosophe Denis Moreau. Nos vies sont faites de petites morts et aussi de petites résurrections, qui sont comme les "rejetons", selon ses mots, de la grande Résurrection... Il n'y a sans doute pas de "recette miracle" pour sortir de la dépression. Denis Moreau a puisé dans la Bible des "textes magnifiques". Ainsi le Psaume 87, qui n'est pas un texte particulièrement joyeux. Et pourtant, à lire le cri du psalmiste "on se sent moins seul", admet François Huguenin.
Psaume 87
Seigneur, mon Dieu et mon salut, dans cette nuit où je crie en ta présence, que ma prière parvienne jusqu'à toi, ouvre l'oreille à ma plainte. Car mon âme est rassasiée de malheur, ma vie est au bord de l'abîme ; on me voit déjà descendre à la fosse, je suis comme un homme fini. Ma place est parmi les morts, avec ceux que l'on a tués, enterrés, ceux dont tu n'as plus souvenir, qui sont exclus, et loin de ta main. Tu m'as mis au plus profond de la fosse, en des lieux engloutis, ténébreux ; le poids de ta colère m'écrase, tu déverses tes flots contre moi. Tu éloignes de moi mes amis, tu m'as rendu abominable pour eux ; enfermé, je n'ai pas d'issue : à force de souffrir, mes yeux s'éteignent. Je t'appelle, Seigneur, tout le jour, je tends les mains vers toi : fais-tu des miracles pour les morts ? leur ombre se dresse-t-elle pour t'acclamer ? Qui parlera de ton amour dans la tombe, de ta fidélité au royaume de la mort ? Connaît-on dans les ténèbres tes miracles, et ta justice, au pays de l'oubli ? Moi, je crie vers toi, Seigneur ; dès le matin, ma prière te cherche : pourquoi me rejeter, Seigneur, pourquoi me cacher ta face ? Malheureux, frappé à mort depuis l'enfance, je n'en peux plus d'endurer tes fléaux ; sur moi, ont déferlé tes orages : tes effrois m'ont réduit au silence. Ils me cernent comme l'eau tout le jour, ensemble ils se referment sur moi. Tu éloignes de moi amis et familiers ; ma compagne, c'est la ténèbre.
(Source : AELF)
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