La fin de l’ENA est actée pour 2022. Emmanuel Macron l’a annoncé jeudi. C’est la mesure phare de la réforme de la haute fonction publique qui doit être bouclée d’ici le 7 juin par ordonnance. Après la crise des gilets jaunes. À l’issue du grand débat national, Emmanuel Macron avait évoqué cette possibilité en avril 2019 puis le sujet était passé sous les radars, pour ressortir à la faveur du rapport Thiriez remis en février 2020.
Mais l’ENA reste très décriée depuis de nombreuses années : fonctionnaires hors sol, déconnectés de la réalité, conformisme entre entre soi. La liste des griefs est longue. Mais elle est en partie justifiée. "Les hauts-fonctionnaires vivent et travaillent dans le cadre d’un corps donc l’énarque ordinaire n’existe pas. Vous avez des cultures très spécifiques par corps avec très peu de diversité sociologique à l’entrée de ces grands corps", estime Luc Rouban, politologue et chercheur au Cevipof.
Un autre aspect intéressant est qu’au fil des décennies le sens de l’ENA s’est un peu perdu, au point d’apparaitre comme une école du pouvoir. "Une partie des hauts-fonctionnaires deviennent des dirigeants politique et donc ça choque une partie de l’opinion publique qu'il faille passer par une école pour devenir président de la République. Cela pose une question démocratique", rappelle Cédric Passard, maître de conférence en sciences politiques à Sciences Po Lille.
L’école n’est pas exempte de défauts, reconnaît Daniel Keller. Mais pour le président de l’association des anciens élèves de l’ENA, c’est un faux procès qui a été fait à l’école, qui depuis plusieurs années avait amorcé une mutation vers plus de diversité. "C’est une mesure que je qualifie de totalement démagogique. L'ENA ne peut pas remédier à toutes les vicissitudes d’un système éducatif français qui n’a eu de devenir toujours plus inégalitaire au fil des années. Si l’on dit entre soi parce que l'ENA recruterait des enfants d’énarque, il n’y en a que deux ou trois par promotion ! La suppression de l’ENA est une réponse rapide à un problème mal posé", affirme-t-il.
Les élèves de l'Institut du service public (ISP) suivront désormais un tronc commun avec treize autres grandes écoles de fonctionnaires comme par exemple l’Ecole nationale de la magistrature (ENM). La sortie du cursus change. Avant, les diplômés de l'ENA rejoignaient soit les grands corps d'État comme le prestigieux Conseil d'État soit le corps des administrateurs civils.
Désormais, les diplômés du futur ISP seront affectés à un corps unique des "administrateurs de l'État" sur le terrain avant d’évoluer par la suite. Et si le classement final est maintenu il ne jouera que pour les premières affectations. Il n’influencera pas sur le reste de la carrière. C’est la fin des rentes à vie en favorisant plutôt le parcours et l’expérience aquise. "Beaucoup de frustration et de déception de la part des Énarques qui avaient payé ce mauvais classement toute leur vie. Cela posait des problèmes de mobilité professionnelle", affirme Luc Rouban.
Mais cette réforme va-t-elle vraiment permettre plus de diversité ? C’est la question car pour beaucoup d’observateurs, le problème de l’entre-soi intervient bien avant l’ENA et n’est pas propre à cette école. "Supprimer l’ENA pour remplacer par une autre école, on retrouvera les mêmes problèmes", souligne Cédric Passard
Pour préparer cette école, certains passent par des classes prépa. Gabriel, étudiant, fait partie d'une de ces classes à Paris. Il est toujours très motivé mais soulève la question du rayonnement international de l’école qu'il souhaite intégrer. "L'ENA est une marque reconnue partout dans le monde. Le risque en faisant de l’ENA une école moins prestigieuse fera aussi que d’autres étudiants qui sont brilliants et ont envie de servir l’État aillent plutôt vers la banque. Il y a un risque de fuite des compétences", regrette l'étudiant.
À un an de la présidentielle, cette suppression ressemble surtout à un coup politique pour Emmanuel Macron. C'est la concrétisation d’une quasi promesse faite après la crise des "gilets jaunes" d’autant qu’il est lui-même un énarque promotion Senghor 2002-2004. Il souffre de cette image de membre de système technocratique. Et pourtant, jusqu'en janvier 2017 pendant sa campagne présidentielle, il défendait encore l'école, affirmant ne pas vouloir la supprimer.
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