On a tendance à l'oublier mais la défaite de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954, a été vécue comme un traumatisme national. On croyait la base imprenable. Les meilleures unités françaises y étaient rassemblées... et tout s’est effondré en 56 jours ! 80 ans après, quelles leçons tirer de la bataille qui a mis fin à la guerre d'Indochine ? Pour certains, par inertie, mollesse ou manque de courage, les politiques de la IVe République ont laissé les militaires à eux-mêmes. Et si la France avait fait preuve d'arrogance ?
Des politiques indécis, une IVe République fragile, des militaires laissés à eux-mêmes, une arrogance très française… 80 ans après, Diên Biên Phu est une défaite riche d’enseignements. C’est ce que nous explique Pierre Servent, officier de réserve, porte-parole du ministère de la Défense et enseignant à l’École de guerre. Il publie "Diên Biên Phu, les leçons d'une défaite - Connaître hier pour comprendre aujourd’hui" (éd. Perrin, 2024).
La bataille de Diên Biên Phu (du 13 mars au 7 mai 1954) a opposé l'armée française au Vietminh, organisation créée par le Parti communiste vietnamien. Cette bataille a mis fin à la guerre d’Indochine (du 19 décembre 1946 au 1er août 1954) et a laissé derrière une sorte de "nostalgie". Un état d’esprit que décrit assez bien, selon Pierre Servent, la chanson "Diên Biên Phu", de Jean-Pax Méfret. Avec "cette idée que finalement les soldats français se sont battus très courageusement - ce qui est vrai, estime Pierre Servent, et ont été un peu laissés tout seuls face à l’ennemi Vietminh".
Quand a lieu la bataille de Diên Biên Phu (du 13 mars au 7 mai 1954), la vie politique française est marquée par une instabilité gouvernementale. La IVe République (46-58) est "fragile". Pierre Servent parle même d’une "molle démocratie" et d’une "insondable légèreté française".
La France, qui plus est, "ne sait pas comment se débarrasser du sparadrap indochinois" (en référence au sparadrap du capitaine Haddock dans "L’Affaire Tournesol"). D’autant plus que l’Indochine "crée de la richesse", souligne le journaliste.
Et puis il y a eu aussi ce "défaut français" - qui perdure, selon Pierre Servent : "On ne donne pas les moyens sur le terrain aux responsables militaires ou politiques de faire le job." Lorsque la guerre d’Indochine a débuté, en décembre 46, "clairement, l’opinion publique se désintéressait de cette guerre lointaine", rappelle le journaliste.
Diên Biên Phu n’était pas destinée à être une sorte de donjon assiégé mais une place à partir de laquelle les Français pensaient rayonner
Pourtant, près de huit ans après, la défaite de Diên Biên Phu a été vécue comme un véritable traumatisme national. "Un tremblement de terre psychologique", décrit le journaliste. "D’autant plus que les Français attendaient avec joie une attaque du Vietminh qui se casserait les dents sur ce qu’on appellerait plus tard one cuvette."
On croyait la base de Diên Biên Phu imprenable. Les meilleures unités françaises y étaient rassemblées... et tout s’est effondré en 56 jours. De quoi rappeler cette "sensation d’hyper-puissance" que l’on avait en France en 40, avant la guerre-éclair qui a conduit à la défaite en seulement sept semaines. Mais aussi on a vu dans la défaite de Diên Biên Phu "l’ombre portée de la Première Guerre mondiale", rappelle Pierre Servant. Cette "mythologie" des places fortes : on pensait les forts de Vaux et de Douaumont imprenables…
La guerre d’Indochine - Diên Biên Phu en particulier - avait donc fini par intéresser l’opinion française. "Les Français avaient trouvé formidable" cette idée de "base aéroterrestre" décrite dans les médias, telle un porte-avion terrestre. Diên Biên Phu "n’était pas destinée à être une sorte de donjon assiégé, souligne Pierre Servent, mais une place à partir de laquelle les Français pensaient rayonner".
On touche du doigt un autre défaut français, l’arrogance. Cette arrogance qui nous empêche de faire le travail de fond
On a beaucoup critiqué après coup, le choix topographique de "la cuvette" entourée de collines. Or, ce choix était "pertinent", pense au contraire Pierre Servent. Il rappelle que l’idée "de rayonner" depuis cette base avait fonctionné en 52 à Na San. L’erreur majeure des Français a été de croire que "le Vietminh ne parviendrait pas à positionner des pièces d’artillerie lourdes" sur les collines avoisinantes.
C’était sans compter sur "l’aide considérable de la Chine". La stratégie du général Giap a été de faire converger de nuit des dizaines de milliers d’hommes, "contraints ou volontaires", précise Pierre Servent. Des hommes capables de creuser et de transporter des pièces lourdes. Dans les premières heures de combat, la France a perdu deux collines importantes.
Il y avait eu durant les mois précédant la bataille des alertes du renseignement français, nous dit Pierre Servant. Était-ce de l’inertie ou y a-t-il eu un manque de courage politique de faire évacuer la zone ? Pour le journaliste, "on touche du doigt un autre défaut français, l’arrogance. Cette arrogance qui nous empêche de faire le travail de fond".
Arrogance qui peut aussi aveugler. "Le b.a.-ba du métier militaire, nous dit l'officier de réserve, c’est se mettre d’abord dans la tête de l’adversaire plutôt que projeter sa pensée sur lui, et rester sur des certitudes. C’est une leçon de vie dans la vie quotidienne pour chacun d’entre nous et c’est une grande leçon pour la stratégie !"
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !