Avec notamment la sortie du film "Tirailleurs", le 4 janvier dernier, nous comprenons comment nos histoires coloniales conditionnent encore et toujours les visions réciproques entre la France et ses anciennes colonies.
L’histoire coloniale s’accompagne d’un ensemble de préjugés et d’images. Pour Sandrine Lemaire, historienne qui a étudié la propagande coloniale, la métropole s’attachait à montrer un "Empire calme où les indigènes étaient heureux de la colonisation", qui devait les mener vers la civilisation. Cela explique qu'après les décolonisations, un trou de mémoire s’est installé dans les programmes scolaires.
Nicolas Bancel pointe du doigt la question de l’accès aux archives. "C’est un sujet sensible, notamment pour ce qui concerne la présence de la France au Rwanda, en Algérie ou au Cameroun." Pour lui, il s’agit davantage d’une fracture mémorielle qu’historiographique : "Je pense que les historiens ont fait un gros travail sur les décolonisations et violences."
C'est aux Français maintenant de prendre connaissance de ce matériau et de mener un travail de mémoire sans tabou. L’histoire qui doit être écrite est celle "que l’on connaît : on doit dire la vérité". "Quand on en parle, on doit avoir l’exigence d’écouter l’autre", estime Laurent Larcher, journaliste à La Croix et spécialiste de cette période. Se décentrer et donner la parole à l’autre qui a été colonisé permet de mieux penser la colonisation.
On le sait peu, mais "l’indépendance du Cameroun s’est faite dans le sang". Ce que montre le journaliste à La Croix Laurent Larcher, qui a signé l'article "L’indépendance du Cameroun, une guerre de rois" (le 29/12/2022). Basée sur des violences et des malentendus, cette décolonisation est longtemps restée dans l'Hexagone une "guerre cachée". Installée là-bas comme puissance mandataire, la France a joué sur la terreur pour imposer sa puissance. De cette guerre discrète et peu documentée, on ne connaît pas le nombre de morts.
Historien à l’université de Lausanne, Nicolas Bancel est allé sur place, pour rencontrer les survivants et les témoins. "Ceux qui vivent encore restent terrorisés par leur histoire : c’est très dur de parler avec eux." Même 60 ans après les faits, beaucoup n’ont pas souhaité être nommés dans les papiers, par crainte d’une répression française. "C’est une peur qui habite encore les esprits", souligne l’historien. Avec Sandrine Lemaire, docteure en Histoire de l'institut universitaire de Florence et enseignante en classe préparatoire, ils ont travaillé sur ces indépendances. De ce travail est né un livre : "L’Histoire globale de la France coloniale" (éd. Philippe Rey, 2022).
Le sentiment anti-français trouve donc ses traces dans l’histoire des XIXe et XXe siècles. La jeune génération, alertée et avertie, est défiante vis-à-vis de l’Hexagone. Les jeunes ont entendu les histoires familiales, ils ont lu Césaire, et dénoncent publiquement le passé comme le présent. Pour Laurent Larcher, ce qu'ils font s'apparente davantage à un "discours de réflexion que d’émotion". C’est en effet par la violence que les Français se sont installés en Afrique. La présence française qui était justifiée par la grandeur de la métropole à travers les continents, la mise en valeur économique, et l’image d’une France bonne et généreuse.
L’Église a eu un rôle majeur : malgré le schisme de 1905, elle a pu confortablement s’installer dans les colonies. L’institution promettait un réseau scolaire et sanitaire de qualité, mais en réalité, cela ne concernait qu’une petite minorité de personnes. Le taux de scolarité dans l’ensemble de l’empire colonial français était inférieur à 5%. "On parle à cet égard de mythologie coloniale." La conversion au catholicisme était vendue comme un moyen d’accéder à la civilisation. "Beaucoup ont souffert de devoir se convertir de manière radicale", souligne Sandrine Lemaire. L’Église catholique brûlait les masques animistes, aujourd’hui considérés comme des œuvres d’art, en se basant sur la dépossession de l’autre.
Et puis il y a eu des promesses non tenues ou bien qui ont pris du temps à être réalisées. Au total, 200.000 tirailleurs sénégalais ont combattu pendant les deux guerres mondiales. 600.000 soldats et travailleurs issus de l’ensemble des colonies viennent prêter main forte sur le front. "On les a déracinés : ils sont venus se battre pour leur "mère patrie" alors qu’ils ne connaissaient rien de la métropole", souligne Nicolas Bancel. De cette mobilisation naît une l’aspiration à l’indépendance. En versant leur sang pour la France, les mobilisés africains pensaient qu’ils ne seraient plus des sujets mais des citoyens. Ce n'est qu'en 1960 que l'indépendance du Sénégal est déclarée.
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