Le Musée Picasso à Paris a pris une initiative très originale, celle reconstituer, autant que possible, l’appartement de Léonce Rosenberg, l’un des galeristes de Pablo Picasso.
Les décors constitués par ce collectionneur et marchand d’art de l’entre-deux-guerres n’ont existé que très peu de temps. La pendaison de crémaillère est célébrée le 15 juin 1929 dans ce vaste espace de onze pièces situé rue de Longchamp dans le 16e arrondissement de Paris. Quelque mois plus tard, un krach boursier se produit à New York. En 1932, ruiné par la terrible crise des années trente, Léonce Rosenberg est contraint de mettre en vente les tableaux de son appartement. Beaucoup de ces oeuvres sont aujourd’hui introuvables. Le Musée Picasso n’en expose qu’une partie.
Léonce Rosenberg a voulu en faire à la fois une vitrine pour son activité de galeriste et, en même temps, un oeuvre d’art total. Il aurait pu simplement accrocher sur les murs des toiles de ses artistes préférés. Il a préféré leur commander des oeuvres originales, dont les formats étaient déterminés par les murs où ils étaient accrochés, y compris les dessus de porte. Le tout selon un principe simple : un artiste différent pour chacune des onze pièces de l’appartement, depuis le hall de réception jusqu’aux chambres des trois jeunes filles de la maison.
On se trouve devant un ensemble d’oeuvres qui relèvent d’un genre particulier, celui de l’art décoratif. La patte des artistes est bien reconnaissable mais ils se livrent à des exercices de style. Par exemple, les quatre saisons par Fernand Léger qui ornaient le vestibule d’entrée. Ou les « fleurs-coquillages » de Max Ernst qui décoraient la chambre de Madeleine Rosenberg.
La patte des artistes est bien reconnaissable mais ils se livrent à des exercices de style
On notera l'éclectisme des peintres sollicités par le commanditaire. Des cubistes abstraits mais aussi des peintres figuratifs comme Gino Severini, Giorgio de Chirico ou Francis Picabia. Et des artistes pour certains très oubliés aujourd’hui comme Jean Viollier qui a réalisé un étrange tryptique du jugement dernier pour le « boudoir de Madame »
Léonce Rosenberg était un homme controversé. Né en 1879 à Paris, fils d’antiquaire, il prend la succession de son père en 1906 tout en collectionnant la peinture d’avant-garde. Il achète ainsi des toiles de Picasso ou de Juan Gris chez le marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler, grand promoteur du cubisme. La guerre de 14-18 marque un tournant. De nationalité allemande, Kahnweiler s’exile en Suisse et son stock d’oeuvres est mis sous séquestre. Léonce Rosenberg prend alors le relais pour soutenir Picasso, Georges Braque, Fernand Léger et bien d’autres.
Mais un grave problème se pose à la fin du conflit. L’État français décide de mettre en vente les tableaux saisis à la galerie Kahnweiler au titre des compensations aux dommages de guerre. Léonce Rosenberg en profite pour acquérir beaucoup d’oeuvres à bas prix. Plusieurs artistes, scandalisés par ce cynisme décident alors de rompre leur contrat avec lui, en particulier Picasso et Braque. Ils rejoignent alors un autre marchand d’art, Paul Rosenberg, le propre frère de Léonce. Ce dernier, après la faillite de sa galerie, tomba dans l’oubli. Il mourut en 1947.
Jusqu’au 19 mai
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