Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le philosophe catholique Emmanuel Mounier a cessé de croire que le spirituel devait s'acoquiner avec le pouvoir et infuser la société moderne par le haut. Son essai "L'Affrontement chrétien", publié il y a 80 ans, est un texte vigoureux sur le courage d'être chrétien. Utile à relire aujourd’hui, il va à l'encontre de l'idée selon laquelle le christianisme serait synonyme de mollesse ou de passivité.
Il y a 80 ans, durant l’hiver 43, Emmanuel Mounier a rédigé "L’Affrontement chrétien". Un ouvrage utile à relire aujourd'hui. Le philosophe pose en effet une question majeure : dans quelle mesure le christianisme peut-il participer au renouvellement de la société ? "L'Affrontement chrétien" vient d’être réédité par les éditions Salvator avec une introduction de Foucauld Giuliani, professeur de philosophie et fondateur du café-atelier "Le Dorothy" à Paris. Il est aussi l'auteur de "La Vie dessaisie - La foi comme abandon plutôt que la maîtrise" (éd. Desclée de Brouwer, 2022) et co-auteur de "La communion qui vient - Carnets politiques d'une jeunesse catholique" (éd. Seuil 2022).
Issu de la petite bourgeoisie catholique, Emmanuel Mounier (1905-1950) a grandi près de Grenoble, où il a suivi des études de philosophie. Il n’avait pas 30 ans quand il a fondé la revue Esprit, la grande œuvre de sa vie. Une revue d’inspiration catholique mais non confessionnelle, dont il a fait le lieu d’une collaboration entre penseurs de sensibilités différentes et de confessions spirituelle diverses. En cela il avait "un esprit Vatican II" avant l’heure, selon Foucauld Giuliani. Esprit, qui existe toujours aujourd’hui, a rapidement connu un certain succès.
Pionnier du courant personnaliste, ce catholique engagé "n’était pas un nostalgique de la perte du pouvoir de l’Église", décrit Foucauld Giuliani. Pour lui, Mounier "est quelqu’un qui vraiment est ouvert à son temps". Mounier considérait la pensée chrétienne comme une ressource "pour être capable d’apporter une lumière" à ses contemporains et "dessiner des lignes d’engagement". Aussi, ce qui caractérise sa pensée, c’est "une attitude de confiance vis-à-vis du présent". Sans nier les problèmes posés par la modernité, Mounier entretenait "une attitude fondamentale existentielle celle de la confiance".
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Écrit il y a 80 ans, durant l’hiver 43, "L’Affrontement chrétien" est un texte vigoureux, utile à relire aujourd’hui. Il pose en effet une question majeure : dans quelle mesure le christianisme peut-il participer au renouvellement de la société ? De quelle forme de vie, de quelle civilisation peut-il être porteur ?
Le philosophe va à l’encontre de l’idée selon laquelle le christianisme serait la religion des lâches et la charité chrétienne une forme de mollesse. De ce fait, Emmanuel Mounier répond notamment au philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900) qui, lui, dénonçait le caractère passif, maladif voire aliéné du christianisme, dans une critique très radicale.
Il y a vraiment cette idée que la grâce est à l’œuvre dans l’histoire et qu’il ne faut pas chercher à la contrôler par le haut, par le pouvoir
La "révolution spirituelle" est un concept phare dans la pensée d’Emmanuel Mounier. Pour lui, "la modernité capitaliste et libérale, par une sorte de tendance naturelle, inhérente à elle, déspiritualise le lien social", explique Foucauld Giuliani. Selon le pionnier du personnalisme, la modernité "présente comme finalité d’une vie humaine bonne la maximalisation de son intérêt matériel". À ses yeux, "il manque un esprit", il faut donc "remettre de l’âme dans un corps institutionnel, qui mécaniquement se vide d’âme".
Il y a eu chez Mounier ce que Foucauld Giuliani identifie comme une "illusion". "L'illusion qu’il peut participer à la refondation nationale telle que le maréchal Pétain est en train d’essayer de la penser et de la défendre dans la société". On a pu taxer Emmanuel Mounier de collaboration : "Je ne pense pas qu’il faut aller jusque-là", objecte le philosophe. Le Mounier des années 30 a vu le spirituel comme "une sorte de puissance de renouvellement à la fois éthique, social, etc., qui peut être infusé par le haut".
Après la Seconde Guerre mondiale, Mounier s’inscrit "contre la tendance du christianisme à rêver une sorte de fusion avec le pouvoir pour refonder par le haut la société", décrit Foucauld Giuliani. "Il comprend que le chrétien ne doit pas s’acoquiner avec le pouvoir établi mais doit plutôt être comme une forme de dissidence, quand le pouvoir établi cherche à instrumentaliser la puissance spirituelle du christianisme." Pour Emmanuel Mounier, le spirituel est "une sorte de capacité de discerner dans le temps présent où est la grâce. Il y a vraiment cette idée que la grâce est à l’œuvre dans l’histoire et qu’il ne faut pas chercher à la contrôler par le haut, par le pouvoir."
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