Sur l'aide active à mourir, les réserves se multiplient. Après le cri d'alarme, mi-février, de treize organisations représentant plus de 800 000 soignants, le ministre de la Santé s'est à son tour montré prudent samedi 8 avril. Dans un entretien au Monde, François Braun déclarait qu'un "texte de loi allant en ce sens changerait profondément notre société et notre rapport à la mort". Lundi 3, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir un projet de loi "d'ici la fin de l'été".
"On meurt encore en France dans des conditions inacceptables. La solution, c'est de développer les soins palliatifs". Ancien chef de service de l'unité de soins palliatifs de l'hôpital de Houdan (Yvelines), le docteur Claude Grange porte sur la fin de vie un regard nourri par plus de deux décennies de pratique. Un constat implacable et un avis tranché, opposé à l'aide active à mourir à laquelle une Convention citoyenne a donné son feu vert, le 2 avril. Chez ce médecin auteur d'un récent livre qui retrace son expérience*, cette opinion n'a rien d'idéologique. "Pour moi, ça a été une révolution de voir qu'accompagner le mieux possible, ce n'est pas un échec, mais un grand succès", confie-t-il. "On a appris aux médecins en formation à faire un bon diagnostic et à délivrer le bon traitement", en oubliant de "préparer les médecins à accompagner les personnes quand on ne peut plus les guérir", regrette-t-il.
Pour moi, ça a été une révolution de voir qu'accompagner le mieux possible, ce n'est pas un échec, mais un grand succès
Au fond, la recette de l'accompagnement palliatif n'a rien d'exceptionnel. "Ce qui nous importe, c'est le confort", explique le docteur Grange. "De soulager la douleur physique, mais aussi la souffrance psychique, sociale, spirituelle. Car il n'y a pas que la douleur physique : il y a aussi la peur de mourir, la peur de l'au-delà, il y a toutes ces peurs-là. Et ces peurs, on en parle. Le malade est content de voir qu'en face de lui, il y a un médecin, une infirmière, une aide-soignante qui peut aborder ces choses qu'on n'ose pas la plupart du temps aborder".
Les courriers adressés par les familles sont un miracle qui le frappe et le touche. "On accompagne des personnes qui vont mourir et qui meurent, et on reçoit des lettres de remerciement. C'est à pleurer tellement c'est émouvant et beau", souffle-t-il.
Fin 2022, le gouvernement chargeait l'académicien Erik Orsenna de rédiger un lexique de la fin de vie. Le cabinet d'Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée en charge de l'offre de soins, craignait en novembre que le terme "euthanasie" soit "ressenti de manière violente". "Notre président dit qu'il n'aime pas ce mot-là. Pourtant, l'euthanasie est bien l'acte délibéré consistant de provoquer la mort d'un malade, il faut appeler un chat un chat", persifle Claude Grange, qui ne mâche pas ses mots. "En France, on a aboli la peine de mort avec la loi Badinter (en 1981, ndlr). Et finalement, on va réintroduire la possibilité de donner la mort, de la main des soignants, aux personnes les plus vulnérables, les plus malades, les plus âgées. Ça questionne quand même, c'est un moyen très radical que de donner la mort à une personne pour soulager ses douleurs. Je ne parle qu'à l'aune de mon expérience personnelle. En presque un quart de siècle, peut-être cinq malades en tout sont restés dans cette demande". Celle de mourir.
Démarche originale s'il en est, le livre est postfacé par le philosophe Régis Debray. "C'est un concours de circonstances, se félicite Claude Grange. J'ai connu Régis Debray dans un dîner. Il s'est beaucoup intéressé à ce que je faisais, et à la fin du dîner, il m'a dit : 'Vous faites un métier formidable, vous rendez humain ce qui ne l'est peut-être pas'. Je lui ai dit chiche, j'étais encore en fonction, et je lui ai envoyé un sms pour l'inviter à passer une journée avec moi", se souvient-il.
Régis Debray s'est beaucoup intéressé à ce que je faisais, et à la fin du dîner, il m'a dit : 'Vous faites un métier formidable, vous rendez humain ce qui ne l'est peut-être pas'
"Il a été assez surpris de la façon dont on abordait les choses avec le malade, avec les familles, la relation de confiance qu'on crée. Je lui ai donc dit qu'il lui fallait un livre sur son expérience. Il m'a dit : 'Non, c'est vous qui allez l'écrire'. Il a peut-être, dans la postface, donné un peu de hauteur à cette problématique, par son regard de philosophe et de personne qui a pas mal vécu". Où l'idée se conjugue au réel.
*Claude Grange, Régis Debray, Le dernier souffle, Gallimard, 2023, 13,50 euros
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