"C'est un criminel, un pédophile, un violeur, un tueur en série : quel regard poser sur lui ? Lui que l'on a enfermé pour protéger la société..." Pendant plus de 13 ans, Isabelle Le Bourgeois a été aumônier de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Avant de devenir psychanalyste et religieuse de l'Église catholique, elle était une femme d'affaires qui dirigeait sa propre société de courtage d'assurance. Dans son nouveau livre, "Le Dieu des abîmes - À l'écoute des âmes brisées" (éd. Albin Michel), elle invite à poser un autre regard sur l'humain et à découvrir qui est ce Dieu présent au plus intime de nous-mêmes.
Dans les années 70, si on lui avait dit qu'elle deviendrait religieuse et psychanalyste, jamais elle ne l'aurait cru ! Isabelle Le Bourgeois reconnaît aujourd'hui sans hésitation que ce qui donnait alors du sens à sa vie, c'était "l'argent". "J'adorais faire des affaires, c'était extrêmement amusant !" Bien qu'éduquée dans une famille catholique, elle avait fini par "mettre Dieu de côté".
Dimanche de Pâques 1981. C'est là où tout a basculé. En allant chercher des croissants, l'envie lui prend ce matin-là d'entrer dans une église. "Je suis entrée, je me suis installée, il y avait la messe..." Quand le prêtre a dit : "Dieu vous aime et vous ne le savez pas", ça a "bouleversé [sa] vie". Aujourd'hui encore elle ne comprend pas vraiment pourquoi. "Peut-être parce que le cœur, l'âme, le corps, tout est prêt pour entendre quelque chose qui ouvre."
Si elle est entrée dans la vie religieuse, c'est que cette phrase a "mis en route quelque chose de l'ordre de l'absolu". À 42 ans, elle est envoyée au Mexique, une "expérience absolument inouïe" où elle "apprend que Dieu ne déserte aucun centimètre carré de sa création". Au contact de la grande pauvreté, dormant à même le sol, "avec quand même quelques rats et dans un climat de grande violence", elle découvre ce qu'elle appelle "le Dieu des abîmes". "Quel bonheur d'avoir vécu ça, quelle ouverture ! Vous vous rendez compte ? Moi, la femme d'affaires qui pensait qu'au fric, je me retrouve là au milieu d'êtres humains dont il était improbable que je les rencontre, et on a quelque chose à se dire..."
Pendant plus de 13 ans, Isabelle Le Bourgeois a été aumônier de prison. "Ces hommes m'ont littéralement, je ne sais pas comment dire... bouleversée." La première fois, elle s'attendait à voir "des gueules de criminels" : au lieu de ça, "des regards, des sourires" et des figures ordinaires, qui déconstruisent toute stigmatisation. Elle comprend alors que "l'être humain vous déroute complètement et vous dit que la question est plus vaste que ça". C'est "pour continuer de creuser le Dieu des abîmes" qu'elle accepte de revenir en prison en tant qu'aumônier. "Les abîmes, c'est le plus noir, le plus carcéral en nous, le plus cachot, le plus horrible, où on n'a pas envie d'aller." Mais où Dieu est présent.
Sa vie avait été tellement bouleversée et si profondément qu'Isabelle Le Bourgeois a eu besoin "d'autres outils que l'accompagnement spirituel pour aller voir ce bouleversement-là". Ses années d'analyse ont été "une expérience spirituelle d'une force inouïe, parce que là, pour le coup, le plus intime de soi est dévoilé". Selon elle, il n'y a rien de plus intime que le lien entre la connaissance de soi et la connaissance de Dieu.
"Dieu vous aime et vous ne le savez pas" : aujourd'hui, alors qu'elle est devenue psychanalyste, cette phrase, elle la dit tout le temps sans forcément la prononcer. "Justement la grande découverte à faire pour chacun de nous, c'est ça, c'est de dire 'Dieu vous aime, vous ne le savez pas, mais est-ce que vous voulez bien le chercher ?' Je pense que mon écoute, ma manière d'être, mon attitude, j'allais dire mon goût de l'humain, mon amour pour l'humain, dit ça, oui. C'est mon espérance aussi."
Émission d'archive diffusée en mars 2020
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