C’est l’un des plus grands philosophes chrétiens du XXe siècle. Jacques Maritain est mort il y a 50 ans, le 28 avril 1973. Ses positions face au modernisme, aux crises politiques de son temps lui ont valu de fortes inimitiés. Qui était Jacques Maritain ? En quoi sa pensée peut-elle nous éclairer dans un monde que l’on dit post-moderne et alors que l’Église est en crise ? Réponses de Michel Fourcade, historien et auteur de "Feu la modernité ? Maritain et les maritainismes" (éd. L'Arbre bleu, 2021).
« On perd un maître dans l’art de penser, de vivre et de prier », a déclaré le pape Paul VI à la mort de Jacques Maritain. Quand il s’est éteint, le 28 avril 1973, à l’âge de 90 ans, la renommée du philosophe chrétien n’était plus à faire. Ce proche du cardinal Montini - Paul VI - était aussi connu en France, qu’en Italie et même aux États-Unis. Il restera une des grandes figures mondiales de la pensée philosophique et théologique moderne.
Jacques Maritain est un universitaire. Il a été professeur de philosophie à l’Université catholique de Paris entre 1914 et 1939, puis dans les universités américaines. Il a aussi été l’instigateur d’une dizaine de revues. Sa pensée l’a d’abord conduit vers l’anti-modernisme avant de se rallier bien plus distinctement à la pensée démocratique libre. Et son importance dans la sphère catholique mondiale s’est peu à peu accrue, à la faveur d’une conversion spirituelle.
S’il est devenu une figure du catholicisme, Jacques Maritain a grandi dans un milieu agnostique. Il s’est converti à l’âge de 24 ans, en 1906, en même temps que sa femme Raïssa, poète et philosophe juive avec qui il formait un couple indissociable. Ils se sont installés à Meudon, alors que la ville était durant l’entre-deux-guerres une véritable « capitale spirituelle » comme la décrit Michel Fourcade. Visionnaire, Jacques Maritain a été parmi les premiers à condamner le communisme et le fascisme, notamment durant la Seconde Guerre mondiale. Nommé ambassadeur de France près le Saint-Siège en 1945, il a terminé sa vie comme novice chez les Petits frères de Jésus à Toulouse, après la mort de Raïssa en 1960.
La philosophie de saint Thomas d’Aquin est la « patrie philosophique » de Maritain. La pensée thomiste peut se résumer par l’affirmation de l’existence d’un réalisme philosophique, une réalité extérieure indépendante de notre esprit. Ainsi, Maritain actualisait cette pensée « Saint Thomas est un homme du XIIe siècle, il y a beaucoup de problèmes auquel il n’a pas eu l’occasion de penser. Maritain va tirer de lui toute une philosophie de l’art, une esthétique et va renouveler toutes les questions politiques, métaphysiques en se saisissant et prolongeant les principes de saint Thomas », nous explique Michel Fourcade.
Bien que laïc, Jacques Maritain a eu un rôle majeur au sein de l’Église catholique. Pour Michel Fourcade, il est un « modèle pour le laïcat de cette époque-là ». Ainsi, quand Pie XI a condamné l’Action française en 1926, il a fait appel au philosophe pour que celui-ci explique les raisons de cette condamnation. Confier un premier rôle à un laïc est « assez inhabituel dans l’histoire du magistère », selon l’historien. Maritain a rédigé deux livres, un de son propre point de vue, « Primauté du spirituel » et l’autre du point de vue du pape « Pourquoi Rome parlé ? », tous deux en 1927. Ces ouvrages « ont balisé cette crise d’Action Française », déclare le spécialiste.
Autre rôle très important de Maritain dans l’Église : sa participation au concile Vatican II. Une mission qu’il a explicitée dans son dernier ouvrage, « Le paysan de la Garonne - Un vieux laïc s’interroge sur le temps présent » sorti en 1966. Cet ouvrage est un premier bilan de l’œuvre du concile Vatican II. Notons qu’il a été mêlé à deux grand thèmes de la dernière session de ce même concile : le dialogue interreligieux et la liberté religieuse.
Jacques Maritain, malgré ou à cause de sa grande influence, avait des ennemis dans l’Église. « Plusieurs fois dans les années 50, certains cherchaient à faire condamner la pensée de Jacques Maritain, qui était sur la sellette à Rome » explique Michel Fourcade. Ses positions voulant « libérer les vérités captives de la modernité pour fonder une nouvelle chrétienté », c’est-à-dire concilier la modernité et l’Église, ont rencontré des détracteurs au sein de l’institution romaine.
En France aussi, on s’est opposé à Maritain. Lors de son retour à Paris en 1948, il a connu « une sorte de traversée du désert » nous rapporte l’historien. En effet, sa philosophie ne correspondait pas ou plus aux attentes universitaires : il n’a pas trouvé de poste de professeur dans les universités françaises. Il s’est trouvé ainsi comme « le Juif errant » de la philosophie chrétienne, condamné à voyager pour vivre. Jacques Maritain est donc parti vivre aux États-Unis, où les chaires universitaires étaient à sa disposition, qu’il connaissait déjà.
Son rôle de laïc engagé ne s’est pas terminé avec son départ : il a largement contribué à faire grandir l’Église catholique américaine. Avec sa femme Raïssa, les Maritain ont été un point d’attraction spirituel important. Une œuvre que l’on n’a pas fini de découvrir. Il reste en effet beaucoup de textes de ses illustres penseurs qui ne sont pas encore publiés. Et notamment les correspondances nombreuses entre les deux époux.
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