Pour cette rentrée, Marque Page vous propose des bandes Dessinées pour les amateurs de cinéma avec un grand écart entre Jacques Tati et Francis Ford Coppola et une plongée dans le tournage apocalyptique de son film culte sur le Vietnam. A l'affiche aussi, le cinéaste allemand Wim Wenders ainsi qu'un essai sur l’américain David Fincher.
Tati et le film sans fin de Le Gouëfflec et Supiot chez Glénat
Avant de devenir un cinéaste de renom, Jacques Tati avait un rêve : devenir clown ! Clown, il n’a cessé de l’être en inventant des gags sous ses multiples casquettes : mime, acteur, scénariste, réalisateur… Destiné à reprendre l’entreprise familiale, le jeune Jacques est médiocre à l’école mais a l’œil pour saisir les situations burlesques du quotidien. Ce regard sur le monde, il va le sublimer dans le music-hall dès les années 30. En découvrant Tati sur scène, Colette dira qu’il a créé « quelque chose qui participe du sport, de la danse, de la satire et du tableau vivant ». Cette approche fera aussi son succès au cinéma : avec son premier coup d’essai, il signe son premier chef-d’œuvre : Jour de fête (1949) !
Tout amateur de cinéma connaît ses films comme Jour de fête ou ceux avec son personnage culte Mr Hulot, Les vacances de Monsieur Hulot, Mon oncle ou encore Playtime. Mais le réalisateur et sa vie ne sont pas forcément connus. La BD commence donc en nous montrant un Jacques Tati en 1951 sur le tournage des Vacances de Monsieur Hulot où le réalisateur se voit obligé par le centre du cinéma d’avoir dans les pattes une scripte, dont le rôle est de noter toutes les informations concernant les prises de vues effectuées, pour ne pas faire de faux raccords (par exemple avec une prise où le héros est habillé en t-shirt et sur une autre prise en pull, elle dira que ce n’est pas raccord). Tati est sûr de lui : “j’ai tous mes raccords en tête”... ce qui se révèlera exact… jusqu’à un certain point ! Puis comme souvent au cours de cette lecture, le scénariste Arnaud Le Gouëfflec remontera le temps, tout d’abord de 25 ans en arrière pour le voir mime sur la plage puis ici encore plus jeune, élève à l’école où l’on apprend que c’est au coin qu’il apprit à observer le monde.
Nous avons ainsi le droit à de nombreuses anecdotes sur Jacques Tati tout au long des presque 150 pages de ce livre, toujours passionnant et jamais rébarbatif, et ce par l’angle de vue et la narration qui restituent en quelque sorte la poésie et les atmosphères du cinéaste. Ces atmosphères sont bien sûr mises en évidence par Olivier Supiot au dessin et aux couleurs. Avec son trait semi-réaliste à tendance humoristique, il retranscrit à merveille le mouvement cher au cinéaste. La mise en page est elle-aussi réussie, alternant séquences en NB et mise en couleurs avec jeux d’ombres et de lumières. On peut aussi souligner des dialogues délicieux et même si le tout est finalement assez anecdotique - l’ouvrage retraçant toute la vie du cinéaste en quelques pages seulement pour chaque film - Tati et le film sans fin, est une belle découverte d’un cinéma qu’il ne faudrait pas oublier !
Un tournage en enfer - Au cœur d'Apocalypse Now de Florent Silloray chez Casterman
Philippines, mars 1976, début d’un tournage qui marquera l’histoire d’Hollywood : typhons, renvoi du premier rôle, climat détestable, maladie tropicale et drogue à gogo, caprices de stars et infarctus de l’acteur principal, dépression et paranoïa du réalisateur, budget incontrôlable et équipe en roue libre… Un enfer à l’origine d’un film culte ! Un tournage de plus de 18 mois. Un budget pharaonique qui met en faillite la Major qui produit le film. Plus de 300 km de pellicules tournées. 12 mois de montage. Une Palme d’or à Cannes en 1979.
Le film est connu pour son tournage chaotique s’étalant sur plusieurs années... un film où les catastrophes naturelles poursuivent les dépassements de budgets sans fin d’un réalisateur exigeant qui fit entièrement retourner tout le début pour changer d’acteur principal, Harvey Keitel, car cela ne fonctionnait pas! Ainsi deux semaines de tournages sont presque intégralement à refaire ! On voit alors le réalisateur se rendre incognito - pour ne pas que les producteurs sachent qu’il n’est plus sur le plateau - rencontrer Martin Sheen, la future tête d’affiche. Martin Sheen qui avec son addiction à l’alcool et les conditions de tournage difficiles fera un infarctus a 36 ans ! Sans oublier la drogue qui circulait sur les plateaux et Dennis Hopper en photographe hippie mettant mal à l’aise Marlon Brando qui ne s’est pas plié aux exigences du cinéaste en ne perdant pas de poids (il pèse en effet plus de 95kg pour un militaire censé vivre reclus et chichement) : rien ne sera épargné au réalisateur. On peut aussi évoquer les militaires américains qui lâchent la production, Coppola devant négocier avec le gouvernement Phillipin, où se tourne le film, pour emprûnter leurs hélicoptères qui doivent être peints aux couleurs US le matin et aux couleurs locales le soir, rendant folle l’équipe de la décoration. Un tournage de plus de 18 mois, un budget pharaonique qui met en faillite la Major qui produit le film… le réalisateur mettra même sa maison en hypothèque, et verra son couple au bord de l’implosion. Ajoutez à cela plus de 300 km de pellicules tournées et 12 mois de postproduction car une fois le tournage terminé, il reste encore le montage et le mixage où FFC pousse encore les limites, créant un piste d’effets sonores en spatialisant le son via cinq sources, élaborant des effets qui tournent autour du spectateur par trois enceintes derrière l’écran et deux autres à sa droite et sa gauche créant ainsi le son pentaphonique. On apprend aussi que le montage de la fameuse scène des hélicoptères a duré aussi longtemps que le montage d’un film entier !
C’est par le biais de Sarah Ewans, une jeune attachée de production imaginaire que le lecteur va suivre l’évolution du film sur les plateaux de tournage et en découvrir les coulisses chaotiques. Un livre quelque peu chaotique lui aussi car on perd parfois le fil du récit et notre narratrice mais nous retombons toujours sur nos pattes. C'est un livre à l’image du tournage mais la BD reste quand même bien lisible malgré un graphisme lui aussi un peu confus, au crayon et aquarelle, manquant peut-être un peu de précision. Mais les principaux visages et personnages même si parfois esquissés sont bien parlants, et l’on reconnaît tout de même le réalisateur et les différents acteurs… et nous retrouvons dans la BD de nombreuses scènes cultes. Un ouvrage fortement documenté et intéressant pour les amateurs du 7ème art, cependant, les aficionados du réalisateur ou de ce film qui auront déjà lu et vu de nombreux reportages, n’auront aucune information inédite à se mettre sous la dent. C’est donc un ouvrage à réserver à des personnes curieuses ne connaissant pas déjà les à côtés de ce film.
David Fincher ou l'heure numérique de Guillaume Orignac chez Capricci
Le premier grand succès public de David Fincher date de 1996 : Seven. Trois ans plus tard, Fight Club fait scandale et devient culte. En 2007, les deux heures et demi sans résolution de Zodiac changent la donne : Fincher s’est apaisé, il prend désormais son temps. Suivront L’Étrange Histoire de Benjamin Button (2009), et The Social Network (2010) qui relate les débuts de Facebook et de Mark Zuckerberg. Trois films racontant la même histoire d’un homme seul perdu dans une tempête de signes et se demandant comment interpréter ou maîtriser les signes qui constituent le monde.
En quinze ans, le statut du jeune cinéaste américain a donc changé : le faiseur est devenu un maître, le réalisateur de clips et de publicités un cinéaste comptant parmi les plus respectés de l’industrie et les plus admirés des cinéphiles. Son obsession est toutefois restée la même : reformuler pour notre époque les obsessions et les paranoïas propres au Nouvel Hollywood des années 1970 ; montrer les puissances et les cauchemars d’un monde toujours plus livré aux forces du numérique ; être à la fois un réformateur et un pionnier. C’est donc la continuité et la nouveauté d’une œuvre que met en valeur cet essai.
Première édition en 2011. Édition augmentée en 2014 à l’occasion de la sortie de Gone Girl, augmentée d’un chapitre sur le « langage amoureux » dans la filmographie du cinéaste, notamment à partir de The Girl With the Dragon Tattoo (2011), d’après la trilogie Millenium.
Dans cet essai, on y découvre donc les obsessions du réalisateur, notamment sur l’insomnie, la peur du sommeil ou de l’endormissement que l’on retrouve chez presque tous les personnages de ces films : de Ripley l’héroïne d’Alien qui dès qu’elle s’endort se retrouve entourée de cadavres, en passant par Benjamin Button, enfant qui ne veut dormir pour découvrir le monde autour, en passant par le dessinateur de Zodiaque et bien évidemment le héros de Fight Club, insomniaque symptôme à l’origine de toute l’histoire qui suit. Le rapport au réel est bien sûr évoqué, la connexion au monde réel et ses personnages en déphasage complet, Marc Zuckenberg en tête dans The Social Network. Et le livre met surtout en avant le rapport du cinéaste avec le monde numérique. Lui qui a baigné dedans dès ses premiers travaux dans la publicité et les clips, voire même dans les ateliers d’effets spéciaux d’ILM sur Stars Wars et Indiana Jones, où il devait déjà trafiquer les images. Il n’a jamais cessé de travailler avec les effets numériques lui permettant de mettre en scène ses visions. Son film, le moins spectaculaire peut-être The Social Network est pourtant l’un des films où les effets numériques sont les plus importants, car invisible mais dès l’introduction où l'on suit notre jeune Zuckenberg rentrer dans sa chambre d’étudiant écrire le message suivant : "le hackage peut commencer", on découvre que tout ce que nous avons vu jusqu'à présent à l’image était déjà hacké, parasité : un faux panoramique des rues de Cambridge, un faux Harvard et écran d’ordinateur lui aussi truqué, n’étant qu’un écran bleu. Sans parler plus tard dans le film des deux jumeaux Winklevoss jouaient par un seul et même acteur. Succinct, mais complet, l’ouvrage se lit très facilement et rapidement, pour moins de 8 euros, c’est la bonne clef qui ouvre les portes de l’univers de ce réalisateur américain reconnu dont le nouveau film The Killer, adapté du Tueur, une bande dessinée de Matz et Jacamon, sortira cet automne.
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