Lyon
Christophe Henning en partenariat avec le quotidien La Croix, évoque "Un jardin pour royaume", de Gwenaële Robert, paru aux Presses de la cité.
" Je préfère dire la vérité : je n’ai jamais aimé Jean-Jacques Rousseau. " Dès la première ligne, on sent bien que la narratrice ne mâche pas ses mots : " Il a toujours eu pour moi l’image d’un philosophe un peu pleurnichard, paranoïaque et sentencieux. " Et pourtant, Gwenaële Robert a décidé, après vingt années consacrées à sa famille, de reprendre sa thèse laissée en rade, qui parle de botanique et de Rousseau.
Direction Ermenonville, le parc des dernières années de l’auteur du Contrat social. Mais cette histoire en croise une autre : les enfants ont grandi, volent de leurs propres ailes, et les parents sont bien démunis. Ils voudraient prendre ce temps libre pour une bénédiction, mais ce n’est pas si simple : " La légèreté demande un effort immense et beaucoup d’entraînement. (…) On avait tout notre temps, mais on ne savait pas quoi en faire. "
C’est en effet l’occasion de reprendre la thèse mais aussi rattraper le temps perdu . D’autant plus que la narratrice n’est pas en terre inconnue : elle est de cette région de l’Oise, mais la reconnaît-elle encore ? " Je le sais, il en va de mon pays comme de l’enfance : quand on en passe la frontière c’est pour toujours. " Elle est un peu perdue dans l’espace, et constate aussi que la famille même marquait cette distance avec l’entourage bien involontairement : " ici, on était ouvrier agricole, fermier, mécanicien chez Poclain. Ingénieur (comme son père), ingénieur cela ne voulait rien dire."
Je le sais, il en va de mon pays comme de l’enfance : quand on en passe la frontière c’est pour toujours.
Si elle ne s’y retrouve pas, c’est aussi que l’horizon s’est profondément modifié. Roissy sort de terre, Disney n’est pas loin, de quoi défigurer la campagne… " Mon pays est cerné de toutes parts. Nous sommes pris en étau et vivons dans l’attente d’une prochaine catastrophe qui va broyer le village."
Chouchouté par le René-Louis de Girardin, marquis de Vauvray, qui l’a accueilli dans ce parc historique, Rousseau réapparaît au fil des pages, les pensées diffuses et les rêveries du promeneur solitaire s’entrecroisent avec les interrogations de l’écrivain : " Ce qu’on peut demander à la littérature : être le mode d’emploi de l’existence, dérouler un fil solide dans ce labyrinthe qu’on appelle la vie. "
Et très universel aussi sans doute. Gwenaële Robert déploie avec délicatesse la géographie du temps qui passe. Elle fait de la nostalgie l’occasion d’une évocation tendre et poétique. Ce passé qui s’écoule irrigue les pages d’un défi : "Ce qui n’est pas nommé disparaît. Nommer mon village, c’est lui donner une chance d’exister encore." Autrice de livres historiques, Gwenaële Robert signe ici un beau texte, intime, une méditation sur le temps et le destin.
Ce qui n’est pas nommé disparaît.
Elle fait du quotidien un bouquet d’épines mais aussi de fleurs irisées. Dire ces jours qui filent, les enfants partis, la fragilité des espaces, c’est rappeler que la vie s’évade, et qu’il nous faut être vigilants, entrer dans la danse : " Tout le monde a besoin d’un tour de manège pour oublier que les royaumes ne durent pas ".
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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