Tu enfanteras dans la douleur ; Soyez parfaits comme votre Père est parfait... Certaines traductions de la Bible ont donné l'image d'un Dieu sadique et pervers. Depuis plus de 40 ans, la psychanalyste Marie Balmary scrute les Écritures. Elle qui a appris l'hébreu biblique et le grec ancien, nous propose une nouvelle interprétation de certains versets, enrichie de son expérience de thérapeute.
Depuis plusieurs décennies, la psychanalyste Marie Balmary explore la Bible. Elle a appris l’hébreu et le grec ancien pour scruter les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, des textes fondamentaux pour les juifs et pour les chrétiens. Ses livres, et surtout "Le Sacrifice interdit", publié en 1986, ont réorienté la foi de milliers de lecteurs, abandonnant des croyances archaïques sur Dieu. Dans son nouveau livre, "Ce lieu en nous que nous ne connaissons pas - À la recherche du Royaume" (éd. Albin Michel, 2024), elle scrute certains passages des évangiles que nous croyons connaître par cœur et qu’elle invite à traduire et revisiter autrement.
"Pour devenir lecteur de Bible, ce n’est pas une mauvaise préparation que la psychanalyse, dans la mesure où il y a une écoute au mot par mot. Si on écoute un rêve, on fait attention à tout et ce qui paraît le moins important ne l’est pas…" La musique lui a appris à écouter la parole, l’écoute l’a conduite à la psychanalyse, la psychanalyse l’a conduite au judaïsme. Marie Balmary, qui a grandi dans une famille catholique, ne s’est pas convertie au judaïsme mais elle y a trouvé "un pays où la parole avait cette valeur-là" qu’elle n’avait "trouvé nulle part ailleurs".
Ce n’est pas Freud qui l’a amenée à découvrir le judaïsme. "La théorie freudienne ne correspondait pas à l’émerveillement que j’ai vécu moi d’être écoutée, d’être crue, d’être entendue." C’est plutôt Lacan qui l’a réorientée vers le religieux - lui dont le frère, qui était moine bénédictin, l’a encouragée dans la redécouverte des textes. La tradition juive donne une grande importance à l'interprétation des textes, ainsi qu'à la pluralité des interprétations. D’ailleurs les Écritures, "ce sont des textes à interpréter, précise Marie Balmary, cette interprétation permet à chacun de se situer, de se confronter à d’autre, c’est une mise en relation de gens."
Au sein d’un petit groupe d’amis aussi passionnés qu’elle, Marie Balmary a entrepris de relire très attentivement la Bible. De là est né notamment l’ouvrage "Le Sacrifice interdit - Freud et la Bible" (éd. Grasset, 1986) où elle questionne un passage célèbre où Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils unique. On en a fait l’exemple du parfait du croyant soumis à Dieu, et qui, bien que choqué par cette demande, va jusqu’au bout. Une interprétation qui donnait l’image d’un Dieu sadique ou pervers, pour reprendre l'expression de Maurice Bellet. Et qui empêchait de voir que c’est le récit d’une "guérison".
Maintenant, on est en train de voir toutes sortes de conséquence des questions de soumission et d’emprise, j’espère que ça va permettre de dire : Attendez, Jésus n’est pas une victime offerte en expiation !
D’abord il y a ce Dieu qui demande à Abraham de sacrifier son fils. Abraham vivait à une époque où il était courant de faire des sacrifices d’animaux, voire d'humains. "Il sort d’un monde d’idolâtrie", explique Marie Balmary. Puis, le tétragramme lui apparaît et lui dit de ne faire aucun mal à l’enfant. Si on lit cet épisode comme un rêve, cette ultime demande de Dieu "correspond à ce qu’Abraham a comme père dans le fond de son cœur : La correspondance entre ce que Dieu demande et ce qu’Abraham va faire, ça nous dit que là on est arrivé au bon endroit."
Publiée en 1986, la relecture du sacrifice d’Isaac par Marie Balmary a eu un fort impact sur la vie de foi de milliers de chrétiens. Car on a beaucoup dit que Dieu, avec Jésus, était allé au bout du sacrifice qu’Abraham n’avait fait à moitié. "Ça me fait hurler quand j’entends ça, confie la psychanalyste, je me dis on démolit l’humanité !... Maintenant, on est en train de voir toutes sortes de conséquence des questions de soumission et d’emprise, j’espère que ça va permettre de dire : Attendez, Jésus n’est pas une victime offerte en expiation !"
Certes, il est difficile de comprendre l’acceptation de Jésus lors de sa Passion. Pourquoi a-t-il accepté de souffrir sur la croix ? Mais quand il dit "Pourquoi m’as-tu abandonné ?" (Mc 15, 34), selon la psychanalyste, "ce n’est pas à son Père" qu’il le demande, mais "au créateur". "Le créateur, il nous abandonnera tous parce que ce corps-là, il va disparaître. Il a fini sa création." Le Père, lui "n’abandonne pas"...
Être attentif aux Écritures, c’est questionner les traductions. L’enjeu est de taille, une mauvaise traduction peut facilement devenir une forme d’instrumentalisation des textes. Par exemple : on a souvent traduit le verset 3 du chapitre 16 de la Genèse par : "Tu enfanteras dans la douleur". "Vous vous rendez compte une phrase pareille, quel poids ça a eu ! s’indigne la psychanalyste, on est restés bloqué là-dessus sur une punition de la femme."
Pour Marie Balmary, il faudrait traduire par : "Dans le chagrin tu enfanteras des fils." "Ça n’a rien à voir avec la souffrance de l’accouchement, explique-t-elle, mais avec la difficulté pour les êtres humains de laisser advenir en l’autre et particulièrement l’enfant, sa propre vie, sa propre parole." Cela fait écho à l’épisode que raconte Luc, quand Jésus a douze ans et que Joseph et Marie le conduisent au Temple de Jérusalem. Ils ne retrouvent plus sa trace et le perdent pendant trois jours. Les parents de Jésus "acceptent de ne pas comprendre, nous dit la psychanalyste, un sujet, un fils c’est quelqu’un qui a dépassé l’emprise de ses parents, qui accède à lui-même."
Nous sommes des êtres profondément inachevés, nous ne serons jamais parfaits !
C'est une autre traduction dangereuse : celle du verset 48 du chapitre 5 de l'évangile de Matthieu. "Attention danger avec cette traduction", nous dit Marie Balmary. En hébreu, le verbe n'est pas conjugué à l'impératif mais à l'inaccompli, c'est-à-dire au futur. On a fait un ordre de "ce qui était une promesse, une prophétie" : "Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait."
Or, le mot "parfait" peut avoir un effet pervers. "Nous sommes des êtres profondément inachevés, nous ne serons jamais parfaits !" Et pourtant, il y a souvent cette injonction dans les religions d’être parfait, d’être des purs, totalement fidèles à Dieu en tout. Ce type de traduction a pu engendré une culpabilité mortifère. "C’est très difficile de mettre dehors le faux Dieu de la culpabilité."
Dans la Bible, ce qui libère, c'est d'être en relation : avec le Père, avec les autres. "Ça court à travers toute la Bible, la relation, décrit Marie Balmary, la qualité des relations..." Ainsi, ce qui dans ce monde-là commence à nous faire entrevoir le Royaume, c’est la relation. "Dieu est relation. Si Dieu est relation, ça a à voir avec la parole…"
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