Violences faites aux femmes, harcèlement sexuel, non-consentement, crédit apporté aux personnes en position d'autorité, victime invisibilisée, lynchage public... Comme il est troublant de lire aujourd'hui le chapitre 13 du Livre de Daniel, dans la Bible ! Écrite à une époque où on ne parlait pas d'égalité femmes-hommes, l'histoire de Suzanne, victime d'un chantage sexuel par deux vieillards, fait écho de manière surprenante aux débats d'aujourd'hui.
Au chapitre 13 du Livre de Daniel, dans l’Ancien Testament de la Bible catholique, il est question de violences sexuelles, psychologiques, morales et spirituelles. Alors que l’on parle beaucoup des violences sexuelles faites aux femmes et du consentement, le lecteur du XXIe siècle est tenté de faire le rapprochement avec ce qu'il se passe aujourd’hui. Toutefois, il ne faut pas oublier que ce texte a été écrit il y a plusieurs siècles. Comment comprendre le Livre de Suzanne ?
"Nous te désirons, sois consentante et viens avec nous." Ces paroles sont celles de deux vieillards à une jeune femme qu’ils désirent. La scène est racontée dans la Bible, au Livre de Daniel, dans l’Ancien Testament. Il est question de viol, de consentement… Des mots qui résonnent fortement aujourd’hui. Comment peut-on interpréter aujourd’hui l’histoire de Suzanne écrite il y a plusieurs siècles ?
À l’époque de Daniel, "personne ne s’intéresse aux violences faites aux femmes", précise d’emblée Marie-Pierre Cournot, pasteure de l’Église protestante unie de France (ÉPUdF), ni "au consentement". Il serait donc erroné de croire que la Bible "défend le consentement ou la liberté de la femme". En revanche, ce texte nous dit que Dieu est "toujours du côté du plus faible. Ça, c’est quelque chose qui traverse toute la Bible, l’Ancien comme le Nouveau Testament."
La pasteure Marie-Pierre Cournot commente pour RCF le chapitre 13 du Livre de Daniel, un texte qui ne figure pas dans la Bible protestante. L’histoire de Suzanne n’apparaît pas dans la Bible hébraïque : elle n’a pas donc pas été reprise par les protestants. Si on la trouve dans le canon catholique, c’est parce qu’elle fait partie des traductions grecques de l’Ancien Testament.
Dans la Bible catholique, le Livre de Daniel suit celui d’Ezéchiel, le dernier des trois grands prophètes, et vient avant celui d’Osée, le premier des douze petits prophètes. "C’est une façon de dire que Daniel, on le reconnaît comme un prophète, me semble-t-il."
Daniel fait partie des Juifs qui ont été emmenés à Babylone, en Mésopotamie, après la destruction du premier Temple au VIe siècle av. J.-C. Il fait partie des livres de diaspora, des livres "qui racontent comment est-ce qu’on fait pour être juif dans un pays et un environnement qui ne l’est pas". Ainsi, au chapitre 13, il est question de la loi de Moïse, de faux témoignage et d'adultère.
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Suzanne est une jeune femme juive très pieuse, qui vit en exil à Babylone avec son époux Joakim. Ses parents "ont instruit leur fille, précise Marie-Pierre Cournot, on voit qu’à cette époque-là, les filles avaient parfaitement accès aux enseignements de la Bible." L'insistance sur la piété de Suzanne et sur son instruction, "c’est une des raisons qui font qu’à la fin, on va vraiment la croire. Moi, ça me fait penser, de nos jours, aux victimes qui sont obligées de prouver leur moralité pour qu’on les croie... "
Suzanne va en effet être victime du chantage de deux hommes, deux anciens, qui la désirent. Ils lui proposent de céder à et si elle refuse, ils la dénonceront pour adultère. Un chantage "terriblement vicieux", selon la pasteure car Suzanne "va être responsable elle-même de son viol ou de son accusation d’adultère. Ils lui font porter à elle la faute, ils se déchargent sur elle, ce n’est pas eux qui prennent la décision".
Quel que soit le choix de Suzanne, elle mourra : si elle cède aux deux hommes ou si elle refuse, elle sera condamnée pour adultère. C’est grâce à Daniel, qui confond les vieillards qu’elle sera sauvée. Le prophète bénéficie d’un don quelque peu merveilleux puisque Dieu lui a donné le pouvoir de connaître les songes. Toutefois, pour Marie-Pierre Cournot, on est là devant un type de récit inspiré du réel. "Ces récits n’inventent rien, explique-t-elle, ils prennent le quotidien, les actualités si l’on peut dire, c’est pour ça que ça parle aux personnes à qui ce texte était destiné."
Il y a une espèce d’invisibilisation totale de Suzanne, on ne lui demande jamais sa version, elle ne peut que crier vers Dieu, elle ne peut même pas parler aux êtres humains
Dans cette histoire, tous les protagonistes accordent du crédit à la parole des agresseurs car "les deux juges âgés sont en position d’autorité". Joakim, le mari de Suzanne, mais aussi les serviteurs… tous croient les deux vieillards. "Personne ne met leur parole en doute, souligne la pasteure, et ça nous interroge aussi nous quand on entend des accusations… est-ce qu’on est capable de remettre les choses en doute, de vérifier les sources, de se poser des questions, d’aller plus loin que ce que tout le monde dit ?"
Marie-Pierre Cournot note également "une espèce d’invisibilisation totale de Suzanne, on ne lui demande jamais sa version, elle ne peut que crier vers Dieu, elle ne peut même pas parler aux êtres humains". Pour la pasteure, la scène de "lynchage public" dont elle est victime fait écho aujourd’hui à ce qui se passe "sur nos réseaux sociaux", où "c’est la masse qui fait la vérité".
Seul Daniel parvient à renverser la situation. Malgré sa jeunesse et son peu d’expérience, il a "un lien spécifique avec Dieu". Et c’est Dieu qui lui inspire de prendre la parole. "C’est une histoire qui est écrite pour expliquer que Daniel est quelqu’un d’extraordinaire."
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