L'expression "fluidité de genre" s'est imposée dans notre société. Qu'il soit question de genre mais aussi de sexualité, de religion, de communauté, de famille ou de politique, nos identités sont-elles fluides ? Pourquoi ce mouvement inverse, et tout aussi prégnant, de crispation identitaire qui traverse notre société ?
En mars 2019, l’hebdomadaire L’Obs titrait en couverture : "Ni fille ni garçon – La révolution du genre". Il se faisait l'écho de la façon dont la "fluidité de genre" s'était imposée dans le langage et la culture française. Dérivée de l’anglais "gender fluid", la fluidité de genre ne correspond pas à tant une orientation sexuelle qu'à une affirmation de soi. Comment expliquer le double mouvement actuel à la fois de revendication d'une fluidité dans les identités et d'autre part de crispation identitaire ?
"Affirmer une identité c’est nécessairement aussi s’opposer à un ordre social qui n’accepte pas cette identité", pour la philosophe Camille de Villeneuve, auteure de "Vierges ou mères - Quelles femmes veut l'Église ?" (éd. Philippe Rey, 2007). De fait, la tendance "gender fluid" s’inscrit par exemple dans le mouvement de libération de la parole et d’affirmation de soi. Se dire ni vraiment homme ni vraiment femme ou bien les deux, c'est se positionner en réaction à un ordre patriarcal et à un modèle hétéronormé (selon lequel l’hétérosexualité s’impose à tous comme la norme dominante).
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Qu’il s’agisse de revendiquer une identité politique, religieuse, ethnique, communautaire ou sexuelle, "cela acquiert de l’importance quand ces questions-là deviennent une question politique", observe Bruno Saintôt, directeur du département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres - Facultés jésuites de Paris.
Il y a une tension entre une aspiration à la fluidité de l’identité, et d’autre part une crispation identitaire
Parfois les identités se frottent et s’agacent les unes les autres. Aujourd’hui, chacun peut céder à la tentation de l’opposition : les pauvres face aux riches, les juifs face aux musulmans, les catholiques face aux non catholiques, les hétérosexuels face aux homosexuels… Le fait est que l’on se définit toujours en rapport avec l’autre. "Une identité qui se poserait toute seule dans un monde, une île, ça n’existe pas", affirme Camille de Villeneuve.
Plusieurs essayistes dénoncent ce qu'ils appellent une "tyrannie des minorités" qui voudraient imposer leur propre norme à l’ensemble de la société. "Il y a une tension entre une aspiration à la fluidité de l’identité, note Camille de Villeneuve, et d’autre part une crispation identitaire." Pour la philosophe, les deux mouvements sont en fait "très liés". Durcir ses propos pour se défendre peut être le signe d’une plus grande fragilité des individus. Le jésuite Bruno Saintôt soulève l’hypothèse d’un "défaut de consistance des sujets".
Le christianisme a joué une grande importante dans la valorisation de la personne, de l’individu comme tel
À partir de quand l’individu a-t-il "eu le temps de se demander qui il était, de s’examiner" ? Les traditions philosophiques antiques ont joué un grand rôle dans ce mouvement de "prise de conscience de soi", décrit Bruno Saintôt. On pense à Socrate au Ve siècle av. J.-C. et à la fameuse expression "connais-toi toi-même".
L’institution ecclésiale est aujourd’hui accusée d'enfermer l’individu dans des règles. Cela peut sembler paradoxal, mais la religion chrétienne a, "de manière sous-jacente", rappelle Bruno Saintôt, "affirmé une valeur centrale de l’individu" et diffusé l’idée que "nous sommes des incomparables". "Le christianisme a joué une grande importante dans la valorisation de la personne, de l’individu comme tel."
"Je suis devenu moi-même et pour moi une immense question", écrit saint Augustin dans ses "Confessions" (entre 397 et 401). Avec ce "grand récit de soi", l’évêque d’Hippone s’est affirmé comme "une personne qui ose parler d’elle-même devant tout le monde et face à Dieu", commente le jésuite.
Il est de ceux qui rejettent ce "besoin et / ou l'habitude contemporaine de tout catégoriser". Le romancier Amin Maalouf, auteur du célèbre essai "Les Identités meurtrières" (éd. Grasset, 1998), donne l’exemple d’une pluri-appartenance pleinement assumée. Il "a réussi à conjoindre en lui de manière heureuse plusieurs appartenances", observe Bruno Saintôt. Certes, le nouveau secrétaire perpétuel de l’Académie française, "représente l’élite intellectuelle", comme le souligne Camille de Villeneuve. Une élite "cosmopolite", au sens où "on l’associe à ces gens qui ont les possibilités économiques, financières, culturelles de voyager dans le monde entier, de connaître plusieurs langues, d’être à l’aise dans différentes cultures…"
Si l’exemple d’Amin Maalouf "reste un idéal", selon la philosophe, il pointe du doigt une donnée essentielle : celle du cadre qui permet à l’individu de penser son identité. Des conditions politiques, sociales, économiques aussi "simples" et "basiques", admet Camille de Villeneuve, que l’accès à l’éducation, à la santé, au travail… Des principes qui font "que l’humain peut être humain".
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