Que pèseront les enjeux écologiques dans le vote des européens le 9 juin ? Très présentes dans la campagne en 2019 et dans les premières années de la législature, marquée notamment par le Pacte Vert, le fameux Green deal, les questions écologiques sont aujourd’hui reléguées. Et les résultats des élections européennes risquent d’accentuer encore cette tendance au recul écologique. Décryptage.
En 2019, les enjeux écologiques avaient été beaucoup plus présents qu’aujourd’hui dans la campagne des élections européennes. Dans la société, l’heure était à la prise de conscience et à la mobilisation. Olivier Nouaillas, journaliste spécialisé sur les questions environnementales depuis plusieurs décennies, se souvient : "c’était l’heure des grandes marches pour le climat où la jeunesse se mobilisait". Ensuite, selon lui, "le Covid et le confinement ont coupé les jarrets à cette mobilisation climat". Et en dépit des rêves d’un "monde d’après qui serait très différent", il estime que "malheureusement, le monde d’après ressemble beaucoup au monde d’avant".
Résoudre les grands problèmes environnementaux, cela nécessite quand même un minimum de consensus et de coopération internationales.
À cela s’ajoutent selon Olivier Nouaillas "toutes les tensions géopolitiques, la guerre en Ukraine, la guerre à Gaza…" Or, décrypte celui qui fut longtemps chargé des questions environnementales à l’hebdomadaire La Vie, "résoudre les grands problèmes environnementaux, cela nécessite quand même un minimum de consensus et de coopération internationales et un contexte de rivalités et de tensions exacerbées n’aide pas du tout à la discussion".
Mais pour Olivier Nouaillas, l’une des raisons majeures de ce recul écologique est "une espèce de bataille idéologique ou de vocabulaire, qui est en train d’être perdue par le mouvement écologiste, avec un mot qui s’est imposé et qui fait des ravages : celui d’écologie punitive, qui interdit quasiment de discuter d’un certain nombre de choses calmement". Une opinion partagée par François Mandil, militant et observateur des enjeux écologiques, qui rappelle que "c’est Ségolène Royal qui a inventé ce mot et qui l’a popularisé".
Outre la difficulté à faire exister l’écologie dans la campagne, l’autre difficulté pointée par François Mandil, c’est l’effacement de la dimension européenne par les enjeux nationaux. Il constate : "on voit bien qu’actuellement on a un gouvernement qui prépare les prochaines élections et veut faire du Rassemblement national son seul et unique opposant et donc construit la campagne de cette façon-là". Et il dénonce : "à cet égard le débat entre Gabriel Attal qui n’est pas candidat et Jordan Bardella, qui serait le débat des européennes était scandaleux".
Un constat corroboré par l’analyse des programmes en lice, via le prisme de l’écologie, réalisée par la journaliste Lorène Lavocat pour le média Reporterre. Parmi les listes soumises aux suffrages des citoyens français le 9 juin, elle a ausculté les sept que les sondages créditent actuellement de 5% ou plus, celles donc, qui pourraient envoyer des députés à Strasbourg et Bruxelles. Résultat : "il n’y a pas énormément de choses sur l’écologie et à l’inverse il y a énormément de choses qui sont du ressort des états et pas du tout de la législation européenne". Et pourtant, selon elle, "80% du droit de l’environnement en France provient de directives européennes !"
Allant de pair avec cette focalisation sur les enjeux nationaux, François Mandil observe une difficulté à saisir le fonctionnement même du Parlement européen, car, explique-t-il : "le Parlement européen ne fonctionne pas du tout comme le Parlement national français : même s’il n’y a pas de majorité absolue, au Parlement européen il n’y a pas de 49.3. Et pourtant ça fonctionne parce qu’on est beaucoup plus dans du compromis, du travail collectif, la recherche de consensus ou de consentement. Cela rend difficile pour les Françaises et les Français la compréhension du fonctionnement du Parlement européen, qui est beaucoup plus dans du travail de compromis collectif alors qu’au Parlement national français on est très vite dans des blocages".
Ce fonctionnement, basé sur la recherche du consensus, est donc très dépendant du poids respectif des groupes politiques qui le constituent. Or, ces groupes politiques européens sont mal connus des citoyen.ne.s français.e.s puisque la campagne à tendance à se concentrer uniquement sur les formations politiques françaises. François Mandil invite donc les électeurs et les électrices à découvrir "quels groupes politiques vont rejoindre les élus [français]" et à observer que "certains groupes sont beaucoup plus unis et cohérents que d’autres" et "qu’il y a des partis qui réfléchissent à l’échelle européenne".
Après avoir découvert ou redécouvert ce fonctionnement institutionnel propre à l’Europe, les électeurs et électrices auront à se déterminer sur la base des programmes proposés par les candidat.e.s français.e.s et Lorène Lavocat identifie deux programmes où l’écologie est très présente : la liste Les Ecologistes de Marie Toussaint et la liste LFI de Manon Aubry. Peu de différences selon elle sur le plan de l'écologie entre ces deux listes qui divergent sur les enjeux internationaux. Et elle décrypte : "la philosophie c’est celle que l’on retrouve au niveau national : sur l’agriculture, acter et accélérer la transition agroécologique en revoyant la PAC pour tenter de la verdir, notamment en soutenant plus les pratiques écologiques et les emplois paysans, puisqu’aujourd’hui les aides de la PAC sont des aides à l’hectare qui favorisent les grandes exploitations. Ensuite sur le volet énergétique, pousser dans un 100% d’énergies renouvelables. Et puis mettre en place du protectionnisme vert".
Un protectionnisme vert présente selon elle d’une manière ou d’une autre dans tous les programmes, y compris ceux du Rassemblement National et de Reconquête!, qui par ailleurs selon elle "portent un certain nombre de reculs environnementaux, ils veulent notamment revenir sur la fin des voitures thermiques, sur le Green deal, etc". Sur la deuxième marche du podium en matière d’écologie selon Lorène Lavocat, la liste PS-Place publique de Raphaël Glucksman porte un programme "peu détaillé en comparaison" de ceux des Ecologistes et des insoumis avec "tout de même plusieurs mesures écologiques ambitieuses". Quand à Renaissance et à LR, elle leur accorde "la palme de la médiocrité climatique". Elle précise que "les deux formations misent sur la technologie (notamment les biotechs) et le nucléaire pour verdir l’Europe".
il y a des décisions inédites qui ont été prises sur la fin des voitures thermiques, sur les énergies renouvelables, sur la taxe carbone, etc
Pourtant, lors de la législature qui s’achève au Parlement européen, le parti majoritaire, le Parti populaire européen (droite) dont est membre LR, avait porté avec la présidente de la Commission européenne, Ursula Van der Leyen le Green deal à partir de 2019. Et Lorène Lavocat de rappeler : "il y a des décisions inédites qui ont été prises sur la fin des voitures thermiques, sur les énergies renouvelables, sur la taxe carbone, etc". Depuis un peu plus d’un an, on observe un revirement du PPE sur l’écologie, dans la foulée duquel, un certain nombre de législations et règlementations ont été "sabotées".
Quel sort sera fait aux enjeux écologiques après le 9 juin ? Pour l’instant, les sondages font attendre "un recul des forces écologistes et un maintien et une montée de la droite et de l’extrême droite qui ne sont pas du tout sur des positions écologistes ambitieuses" constate Lorène Lavocat. Pourtant, selon Olivier Nouaillas, "l’Europe est un bon échelon pour agir de manière très efficace sur tous les problèmes écologiques". Et il illustre : "si on prend par exemple les négociations climatiques, historiquement l’Europe est plutôt un point d’appui pour les avancées dans les COP. Et ce qui est aujourd’hui un peu en question c’est au minimum une stagnation voire même un recul de cette position". Selon lui, pour un électeur ou une électrice sensible aux enjeux écologiques, une manière de déterminer son vote peut être de regarder la position des programmes en présence à propos du Green deal : "le Pacte vert, le Green deal, ce n’était pas le paradis sur terre mais c’était quand même une avancée et un point d’appui. Et je crois que cela peut être un bon critère de regarder qui veut abattre le Green deal et revenir en arrière et qui veut le défendre et l’améliorer".
Et pour lui, il est nécessaire de sortir de l’idée que l’écologie ne serait que contraintes : "ça peut être un projet de société enthousiasmant !" affirme-t-il. Un point de vue auquel souscrit François Mandil qui propose une autre grille d’analyse : "quel projet de société veut-on ? Quels sont les gens qui portent un projet de société de compétition, de prédation de la terre et des hommes et des femmes ? Ou est-on dans un projet de société coopératif, égalitaire, harmonieux ? Saint François d’Assise était écolo et il ne connaissait pas les changements climatiques. Changement climatique ou pas, effondrement de la biodiversité ou pas, on a besoin de conversion écologique".
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