Existe-t-il en France une "maltraitance d’État" à l’encontre des personnes migrantes ? C'est l’expression qui fait polémique et qu'emploie notamment le député Sébastien Nadot, le président de la commission d’enquête parlementaire (CEP) sur les migrations, qui a récemment remis son rapport. Est-ce nos lois qui sont dégradantes et inhumaines ou la situation sur le terrain qui semble trop complexe ? À l'approche de l'élection présidentielle, le débat est vif.
"Maltraitance d’État", l’expression a été employée par le député Sébastien Nadot au moment de la présentation, le 16 novembre dernier, du rapport de la commission d’enquête parlementaire (CEP) sur les migrations. "La maltraitance d’État, c’est ce qu’on a pu mesurer à travers une commission d’enquête, maintient le député sur RCF, enquête qui regroupait un petit plus de 30 parlementaires avec un travail sur le terrain qui a duré un petit peu plus de six mois." Le terme est fort, mais le député insiste, il y a une maltraitance "systémique" dans notre pays à l'égard des migrants. La France a d'ailleurs été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) notamment pour des manquements au respect de la dignité de demandeurs d’asile ou des mineurs étrangers isolés.
En réponse, Didier Leschi, le directeur général de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration), estime "assez pénible" le fait de "parler dans ce contexte de maltraitance d’État" à l’égard des "fonctionnaires que nous sommes". "C’est mal connaître et ne pas avoir une vision assez équilibrée de ce qui se passe et des efforts qui sont faits." Mais pour Sébastien Nadot "ce n’est pas une attaque contre les fonctionnaires, c’est une alerte". Il rappelle que "nombre de gens dans les services publics se retrouvent dans la situation d’être prisonniers d’un système, d’une construction systémique, et ils ont chacun d’entre eux l’impression de faire le contraire de ce qu’ils devraient".
Qui dit maltraitance d’État ou systémique renvoie aux lois et aux décrets qui structurent le fonctionnement de notre société. L’avocate spécialiste en droit des étrangers Marie-Noëlle Fréry rappelle l’existence d’un décret depuis 2019 qui "retarde de trois mois l’accès aux droits à la santé même pour les demandeurs d’asile". Ainsi, pour elle la maltraitance d’État est une réalité. Elle prend l’exemple "d’hommes ou des femmes qui ont traversé la Libye, qui ont vécu des choses particulièrement terribles dans leur pays d’origine ou en Libye ou dans quelque pays traversé" et qui, arrivés en France "ne sont pas soignés, alors même qu’on leur demande dans les 120 jours d’arrivée, de faire un récit, de raconter leurs tortures, et il n’y a pas de soins médicaux qui sont donnés dans les trois mois qui suivent".
Parmi tous les étrangers qui arrivent sur le sol français, c’est le cas "des demandeurs d’asile, que l’on appelle les migrants", qui est le plus "complexe", selon Didier Leschi. Il y a notamment des personnes "qui ne veulent absolument pas déposer une demande d’asile en France et qui veulent absolument rester sur le littoral", pour "rester à portée de main des passeurs". Si la situation est difficile, ce "n’est pas le fait du refus systématique des autorités", maintient le président de l'Ofii, mais bien de ceux qui "ne veulent absolument pas rester en France parce qu’ils sont attirés par une sorte de soleil libéral et ultra libéral qui est l’Angleterre". Didier Leschi rappelle qu'à Calais, "le gouvernement finance plus d’une centaine d’emplois associatifs pour prendre en charge les personnes qui sont dans des situations difficiles", et que seule une personne sur deux, ou sur trois, accepte de se rendre dans les hébergements de l’Ofii.
La complexité de la situation "n’enlève pas qu’au regard du droit français il y a des principes", estime Sébastien Nadot. "Ni l’absence de droit au séjour ni le fait d’occuper même illégalement un site ne saurait priver de la jouissance des droits les plus fondamentaux tels que les droits d’être hébergé, d’être soigné, d’être scolarisé, de demander l’asile, de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants, n’importe quelle personne qui est sur notre territoire. Juste cet élément-là, on s’aperçoit qu’on est très très loin du compte !"
Ce que dénonce le député de Haute-Garonne affilié au groupe Libertés et Territoires à l'Assemblée nationale, c’est l’approche "très politicienne" du sort des migrants, et ce, "depuis plusieurs années". Pour lui, "le résultat de cette commission d’enquête c’est qu’il y a bien un problème systémique dans notre pays sur lequel les politiciens n’engagent pas leurs responsabilités, en tout cas devant le visage humain de toutes ces personnes". Des politiciens qui ne s’engagent pas, quand la question migratoire revient très souvent dans les programmes de campagne, à l’approche de l’élection présidentielle.
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