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Un monde à vélo, un horizon désirable ?

Un article rédigé par Anne Kerléo - RCF, le 4 juin 2024 - Modifié le 5 juin 2024
Je pense donc j'agisÀ quoi ressemblerait un monde où nous irions tous à vélo ?

Le vélo peut-il être une clé ou un outil pour repenser notre vie en société, pour inventer un mode de vie compatible avec les limites planétaires ? Et si oui, comment faire pour passer de notre mode de vie actuel à ce nouveau mode de vie ? Dans l'émission Je pense donc j'agis, sur RCF, on rêve d'un monde à vélo.

© Pixabay  _Kardinal_© Pixabay _Kardinal_

Nous avons, collectivement, une conscience aiguë de l’inadéquation de nos modes de vie avec les limites planétaires. Nous savons que si nous continuons ainsi nous allons dans le mur. Et pourtant, nous ne prenons pas, collectivement, politiquement, les décisions nécessaires au changement. Et si le vélo pouvait être le vecteur du changement nécessaire ? Pourquoi le vélo ? Pour répondre, empruntons les mots de Joseph d’Halluin dans "La bataille du vélo : vaincre le système automobile" (Ed de l’Escargot, 2024) : "face à l’hégémonie automobile, l’imaginaire humain a besoin d’un objet comme support à un récit différent. Le vélo a été, bien avant les éoliennes, l’objet qui incarnait l’écologie politique naissante. Par exemple, en 1972, les tout jeunes Amis de la terre manifestaient avec le mot d’ordre suivant : "Des vélos pas des autos".

Le vélo, créateur de joie 

L'un des premiers arguments développé par les promoteurs du vélo est celui de la joie : faire du vélo, ça rend joyeux, ça fait du bien. Parisienne, ingénieure de formation, experte vélo et mobilité décarbonée, Aurore Fabre-Landry est aussi adepte du vélo depuis 24 ans pour ses déplacements quotidiens. Elle témoigne de "24 ans de bonheur à vélo" : "j'habite en périphérie de Paris et quand j'arrive à vélo à travers les forêts qui bordent Paris, j'entends les oiseaux, je vois les fleurs qui s'ouvrent et un trajet devient un bonheur".

"Le vélo rend heureux", renchérit Priscilla Parard, consultante et formatrice en santé-environnement et auteure du livre "Réenchantons le vélo : pour une mobilité libre et joyeuse" (Ed Terre vivante, 2022). Et l'usage de la bicyclette a, selon elle, bien d'autres vertus : "le vélo permet de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, c'est un super outil pour se maintenir en bonne santé : comme le montre l'épidémiologiste Kevin Jean, pour un kilomètre parcouru à vélo c'est un euro de coût social évité. Et au-delà de ça, un monde de vélo c'est un monde de silence, sachant que dans nos villes le bruit est la première cause de nuisances environnementales, c'est un monde plus apaisé, un monde où on peut se reconnecter à l'autre, à soi, à note environnement, un monde où on sent les odeurs du printemps". Et puis "à Paris, à vélo, on dépasse les autos", comme le chantait Joe Dassin en 1972 déjà.  

Notre système de déplacement est vraiment très vulnérable. 

Bien des raisons donc, d'adopter le vélo. Individuellement et collectivement. Avec joie. Mais aussi, pour un certain nombre d'experts, de promoteurs du vélo et de plus en plus de citoyen.ne.s lambda, avec une conscience aigüe et toujours accrue du danger qui menace notre avenir : celui de l'urgence climatique et de la nécessité absolue de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. "Aujourd'hui, face aux limites planétaires, face à l'effondrement possible de tout un tas de système, face à la raréfaction des énergies fossiles, face à la concurrence pour les métaux rares, etc, notre système productif en général et en particulier son volet déplacements, est vraiment très vulnérable", affirme Joseph d'Halluin, militant pro-vélo de longue date, ancien secrétaire général de la FUB (Fédération des usagers de la bicyclette).

Pour lui, il est évident que notre système de déplacement va changer. Par choix ou par force. A cause de la fragilité du système actuel de transports, basé essentiellement sur l'automobile : "on l'a vu au moment de l'invasion de l'Ukraine par la Russie avec un petit choc énergétique, on l'a vu un peu avant au moment du blocage des raffineries pendant la lutte contre la réforme des retraites. Donc entre aujourd'hui et 2050, on a pas mal de surprises à attendre. Qu'on réussisse à être collectivement volontariste sur une transformation du système de déplacements et à créer un système de déplacement soutenable dans lequel le vélo aurait une place importante, ou qu'on n'y réussisse pas, de toutes façons le système de déplacements sera différent par la force des choses"

Les cyclistes, pionnièr.e.s d'un monde nouveau

Et pour lui, celles et ceux qui, déjà, se déplacent à vélo, sont un peu les pionniers et pionnières d'un monde nouveau : "ce que je trouve très intéressant avec le vélo c'est que, dès aujourd'hui, on est de plus en plus nombreuses et nombreux à l'utiliser au quotidien, par choix, par contrainte, mais en tout cas, en expérimentant un mode de vie centré autour d'un mode de déplacement autonome, relativement lent, tourné vers l'extérieur, qui utilise notre énergie métabolique. On est un peu en train de dessiner le monde de demain". 

Pour Priscilla Parard, "c'est important de se projeter positivement". Pour elle, "les nouveaux imaginaires, les nouveaux récits, permettent de passer à l'action". Et le vélo est porteur d'un imaginaire, d'une culture. Et lorsqu'elle imagine un monde à vélo en 2050, voici ce qu'Aurore Fabre-Landry décrit : "c'est le matin, j'ouvre ma fenêtre, j'entends les oiseaux chanter, pas de bruit... je me dis  : tiens on est dimanche ! J'ouvre les yeux et je vois tous les vélos qui passent en bas de chez moi et je me dis : ah mais non on est lundi il faut que j'aille vite au travail !"

Le vélo, pour rendre la rue aux enfants

Une autre image naît dans son esprit lorsqu'elle imagine ce monde à vélo de 2050 : elle voit dans la rue "des usagers qu'on voit peu ou qu'on ne voit pas seuls en tout cas, que sont les plus fragiles. Ce sont les enfants : l'âge d'autonomie des enfants pour aller à l'école ne cesse de reculer. Ils sont beaucoup accompagnés en voiture, cela crée du danger pour ceux qui sont à pied et c'est un cercle vicieux qui est celui de la ville automobile : les trajets que l'on pourrait faire à pied ou à vélo, en général on ne les fait pas à cause de la dangerosité. On ne voit plus les enfants jouer dans les rues depuis bien longtemps à part quelques exceptions. Dans notre monde de 2050, les enfants seront de retour, pour se déplacer seuls bien plus jeunes dans la ville qui sera devenue bcp plus sûre, pour jouer dans des rues tranquilles, résidentielles. Et de la même manière on retrouvera aussi beaucoup plus de seniors et de personnes à mobilité réduite". 

déconstruire le système voiture

Comment parvenir à ce monde où le vélo se taillerait la part du lion dans les déplacements et où la voiture serait réduite à la portion congrue ? Faisant référence à un rapport du Shift Project intitulé "déconstruire le système voiture", Priscilla Parard appelle à "construire ou conforter un véritable système vélo : il faut des aménagements, qui soient continus, connectés, des services - stationnements, écoles de remise en selle, ateliers de réparation- un trafic apaisé..." Et mettre tout cela en œuvre prend du temps et réclame la mise en œuvre de vraies politiques, comme cela s'est fait à Grenoble où désormais, explique Priscilla Parard, le vélo représente 16% des déplacements. À Paris, la part du vélo est passée en quelques années de 2 à 10%. Quelque chose se passe donc réellement du côté du vélo. 

Le temps, clé d'un basculement massif vers le vélo

Alors quels sont les freins au passage à la vitesse supérieure : la transformation du vélo en transport de masse ? Aurore Fabre Landry évoque l'impact de "l'effet maillon faible". Et elle explique : "si vous avez ne serait-ce qu'un kilomètre de votre trajet qui est dangereux, ça vous empêchera de faire tout le trajet. Pour réellement passer à la vitesse supérieure, il faut avoir atteint un niveau de maillage très élevé. Beaucoup de collectivités avancent, font de plus en plus d'aménagements et pour autant, elles voient les parts modales vélo qui augmentent tout doucement. Donc il faut y croire et comprendre qu'il y a un moment, quand on pourra faire une part importante des trajets de bout en bout en sécurité, ça basculera de manière plus massive". 

Autre point majeur de difficulté : tant que les alternatives à la voiture ne sont pas suffisantes pour permettre tous les déplacements, on est obligé de garder sa voiture. Et donc, le coût du vélo ou du vélo à assistance électrique, même s'il est bien moins élevé que celui d'une voiture, vient s'ajouter au coût de cette dernière, il ne s'y substitue pas. Pour Aurore Fabre-Landry, l'une des clés du développement du vélo réside donc dans la "combinaison harmonieuse" des différents modes de transport. 

La mobilisation citoyenne, clé de la bascule vers le système-vélo

Joseph d'Halluin, lui, insiste sur la nécessité de la mobilisation citoyenne pour faire avancer la cause du vélo. Et cela se joue en proximité, dans les communes, notamment lorsque des projets d'aménagement de l'espace public sont présentés. Et il explique : "il y aura toujours forcément quelqu'un pour venir défendre sa place de stationnement ou en tout cas défendre le statu quo. Donc c'est vraiment important que les personnes qui pensent qu'on ne peut pas continuer comme avant et espèrent qu'on va être capable de transformer l'espace public pour le rendre plus accueillant pour les enfants, plus convivial, plus écologique, qui souhaitent qu'on réfléchisse autrement à l'aménagement du territoire, se mobilisent, soient présentes, jouent leur rôle de citoyen d'aiguillon, pour réussir à mener cette transformation collective".

Du côté des signes d'espoir et de ce qui soutient et promeut le développement du système vélo, on peut citer le plan national vélo adopté en 2018, révisé en 2022 et assorti fonds vélo de 350 millions d’euros sur 7 ans pour résorber les coupures et points noirs des aménagements cyclables. Des plans vélo existent aussi dans de nombreuses collectivités territoriales. Et puis, du côté citoyen, le nombre des associations d'usagers et de militants du vélo ne cesse de croître. Par exemple, en 7 ans, le nombre d'associations adhérentes de la FUB est passé de 200 à plus de 600. 

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