Des maladies qu'on croyait réservées aux hommes et que l'on n'a pas diagnostiquées à temps chez les femmes, une recherche médicale "androcentrée" qui ne s'est pas penchée sur les maladies propres aux femmes... On fait le point sur les conséquences des biais de genre dans l'exercice de la médecine.
Les biais de genre, qu'est-ce c'est ? Quand on parle de "genre", cela fait souvent bondir. "Le genre, disons-le d’entrée, c’est un concept qui n’a rien à voir avec le fait de nier l’existence différences biologiques entre les hommes et les femmes", explique Muriel Salle, historienne, maîtresse de conférence à l’université Claude-Bernard Lyon 1. Selon les sociologues*, le genre est un "système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin)."
Dit autrement, "ce genre, il va donner du sens à des réalités biologiques qui en soi en sont dépourvues", explique Muriel Salle. Ainsi avoir des testicules plutôt que des ovaires correspond à une réalité biologique : le genre, c’est "le cadre de pensée à partir duquel nous donnons du sens à ces réalités".
Quant aux biais de genre, ce sont "les mécanismes de pensée inconscients qui vont agir sur nos perceptions, agir sur nos jugements, et qui vont nous conduire à associer certaines idées, certaines qualités, certains traits de caractères aux personnes, selon qu’elles sont des hommes ou des femmes", explique l’historienne.
"Les représentations sociales ont influencé la médecine, comme le résume Agata Zielinski, religieuse xavière et philosophe, enseignante au département d’éthique biomédicale des Facultés Loyola Paris, et notamment au détriment des diagnostics ou de la prise en charge de certaines pathologies ou certains problèmes de santé des femmes".
Par exemple dans le domaine des maladies cardiovasculaires. "On pensait à tort, alors que les données étaient déjà là, que les femmes n’avaient pas de maladie cardiovasculaires", explique le Dr Patricia Lemarchand, pneumologue et professeure de biologie cellulaire à la faculté de médecine de l'Université de Nantes. En conséquence de quoi, "il y a eu, et il y a probablement encore, un sous-diagnostic très important". Si une douleur survient dans la poitrine chez une femme, on pense moins au risque d’AVC que chez un homme. "On va attendre et ce délai va être préjudiciable à la prise en charge."
Dans le cas de la graisse pulmonaire, une maladie respiratoire qui nécessité une greffe, "nous nous sommes aperçus, nous dit le Dr Lemarchand, que les femmes attendaient plus longtemps que les hommes la greffe". En cause, la taille des poumons. "Les greffeurs pensaient qu’il fallait absolument avoir un poumon venant d’un donneur qui soit de la taille de celui du receveur. Or, il y a plus de donneurs masculins, à cause des accidents sur la voie publique, etc. Nous avons montré qu’en fait il n’y a pas de raison médicale de faire attendre les femmes."
Les savoirs médicaux sont structurés dans une perceptive qu’on dit androcentrée. C’est-à-dire qu’on réfléchit le corps et la santé à partir d’une norme qui est la norme masculine
"Les savoirs médicaux sont structurés dans une perceptive qu’on dit androcentrée, observe l’historienne Muriel Salle. C’est-à-dire qu’on réfléchit le corps et la santé à partir d’une norme qui est la norme masculine. Et ensuite on décline, pour ce qui est des femmes, par rapport à l’idée qu’elles sont différentes."
C'est sans doute pour cela que la recherche est à la traîne sur un certain nombre de maladies spécifiques aux femmes. Par exemple, sur le syndrome prémenstruel, l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) ou les effets de la ménopause, on est beaucoup moins bien documentés, même si c’est en train d’évoluer.
Une médecine "androcentrée" qui a eu tendance à surtout "s’intéresser à la santé qu’on appelle aujourd’hui sexuelle et reproductive, parfois en oubliant d’autres aspects de la santé, précise Muriel Salle, ou en lisant toute l’économie de leur corps, tout le fonctionnement de leur corps à l’aune de ce sujet-là, de leur santé sexuelles et reproductive."
Dans la prise en charge médicale, le soin ou care en anglais, compte beaucoup. Le fait d’être entouré, accompagné par un proche aidant joue un rôle dans la guérison. Or, comme le rapporte Muriel Salle, "on a des études qui montrent que les femmes ont six fois plus de risque que les hommes d’être quittées par leur conjoint" à l’annonce d’un cancer ou d’une maladie grave.
Les biais de genre opèrent donc aussi bien dans les représentations entre soignant et patient mais aussi "dans les attentes différenciées qu’on peut avoir vis-à-vis d’un parent, d’un conjoint ou d’une conjointe". Ce sont, selon l’historienne, les mêmes biais qui structurent "nos interrelations ordinaires" que la pratique des professionnels de santé.
* in Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard, "Introduction aux études sur le genre", éd. De Boeck, Bruxelles, 2008
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