En France, une partie de la population demeure en marge des systèmes de santé, particulièrement les personnes en situation de précarité. Des obstacles considérables les empêchent d’obtenir les soins nécessaires tant sur le plan physique que mental. Pourquoi rencontrent-elles autant de difficultés ? Une émission Je pense donc j’agis présentée par Melchior Gormand.
L’accès aux soins est un droit fondamental pour tous. Mais pour les sans-abris, il demeure encore hors de portée. Que ce soit à cause d’une stigmatisation sociale, d’une méfiance envers les institutions ou simplement d’un refus de l’aide d’autrui, ces difficultés rendent leur situation d’autant plus compliquée à vivre et accentuent les problèmes auxquels ils font face.
Vivre dans la rue expose les sans-abris à une multitude de défis physiques qui compromettent gravement leur santé : “Les sans-abris sont dans ces situations très compliquées et négligent souvent leur hygiène et leurs problèmes de santé, ce qui peut très vite devenir très dangereux pour eux”, explique Patrick Fievet, médecin référent Santé Solidarité pour l’Ordre de Malte France. S’ils continuent de vivre dans ces conditions, ils risquent de mourir : “La situation est telle que l’espérance de vie de ces personnes est de seulement 48 ans”, ajoute Patrick Fievet.
Derrière cette espérance de vie très courte, de nombreuses pathologies touchent les sans-abris : “Des infections otorhinolaryngologiques (ORL), mais aussi pulmonaires, dermatologiques et rhumatologiques font partie des principaux problèmes de santé que rencontrent les sans-abris. La forte charge qu’ils déplacent avec eux constamment favorise aussi des problèmes de dos, et des problèmes aux niveaux des pieds sont aussi très fréquents, dus essentiellement aux faits qu’ils utilisent des chaussures inadaptées. C’est pour cela qu’on retrouve souvent des lésions et des infections dans cette partie du corps des sans-abris”, explique le médecin référent Santé Solidarité.
Les sans-abris développent un oubli de soi.
En plus de ces soucis physiques, c’est aussi l’état mental des sans-abris qui est mis à rude épreuve, d’après les expériences du docteur François Lair, médecin psychiatre et membre de l’équipe mobile de Paris Est : “La notion de déni est vraiment très présente dans l’esprit des sans-abris”. C’est la raison pour laquelle ces personnes ont autant de problèmes physiques mais vivent avec : “En réponse à l’extrême souffrance, les sans-abris développent ce qu’on appelle un oubli de soi“, explique François Lair. Une sorte de mécanisme défensif pour mieux survivre dans ces conditions, malgré les nombreuses pathologies.
Cette notion d’oubli de soi est à l’origine des nombreux problèmes que peuvent rencontrer les médecins qui souhaitent aider les personnes démunies : “Souvent, on nous contacte pour aider des personnes dans le besoin, mais elles sont parfois dans un état d’addiction tellement profonde qu’il est impossible de créer le lien et de les aider”, témoigne François Lair. Une difficulté que rencontre aussi Patrick Fievet : “Avec cette notion d’oubli de soi, on retrouve souvent l’auto-exclusion des sans-abris, qui provoque souvent des difficultés pour les médecins qui ne peuvent pas les aider”. Cette auto-exclusion est extrêmement dangereuse pour les personnes vivant dans la rue : “Elle provoque un repli sur soi, et les sans-abris ne demandent pas l’aide d’autres personnes alors qu'ils en ont très souvent besoin. L’alcool et la drogue rendent ce repli encore plus extrême, c’est pour cela qu’elles sont aussi dangereuses”, souligne Patrick Fievet.
Les humains sont des êtres qui se forgent dans les interactions sociales.
“Quand je suis arrivé à Paris il y a 30 ans, je n’avais rien, j’étais seule dans une chambre de bonne. Mais des chrétiens à la chapelle Sainte-Rita m’ont accueillis, aidés financièrement et m’ont même nourris et pris de mes nouvelles, je ne les remercierai jamais assez”, témoigne Lise, fidèle auditrice de RCF. Un témoignage sur lequel rebondit Patrick Fievet : “Cela ramène un sujet très important, celui de la non-existence, et du fait que les humains sont des êtres qui se forgent dans les interactions sociales”. Une notion qui fait écho avec le phénomène de Grande Exclusion, commun aux sans-abris et aux prisonniers : “Quatre grandes composantes que sont le corps, l’espace, le temps et l’autrui, ce phénomène se définit par un oubli progressif de ces notions et touche les sans-abris, mais aussi les prisonniers et les personnes atteintes de la maladies d’Alzheimer”, explique Patrick Fievet.
L'étude Samenta nous aide beaucoup, mais d'autres seraient les bienvenues.
Pour rendre la tâche encore plus ardue pour les médecins, l’absence d’études à ce sujet : “Il n’y a que très peu d’études sur les différentes pathologies que rencontrent les sans-abris. Elles nous seraient très utiles pour pouvoir les identifier plus rapidement, mieux s’y préparer et y répondre correctement”, explique Patrick Fievet. Même cas pour l’aspect psychique d'après François Lair : “On a aussi très peu d’études, mis à part l’étude Samenta, qui traite des addictions et de la santé mentale des sans-abris en Île-de-France. C’est une étude qui nous aide beaucoup, mais d’autres seraient les bienvenues”. C’est à cause de ce manque que les médecins sont souvent obligés de se former sur le tas.
“Je connais un sans-abri qui allait se doucher une fois par semaine dans les douches d’une piscine municipale, et il était toujours très propre”, témoigne Julien, fidèle auditeur de RCF. Un geste à l’apparence anodine mais qui a pourtant un grand impact : “Cela réduit considérablement les risques d’infections”, explique Patrick Fievet, “cela lui permet de prendre soin de son corps et de conserver une bonne estime de soi, très importante pour sa santé mentale”, ajoute François Lair.
En plus de ça, du matériel sur mesure est utilisé par l’Ordre de Malte pour subvenir aux besoins des sans-abris le plus efficacement possible : “On a des équipes mobiles comme les maraudes médicales qui se déplacent en camionnette avec tout le nécessaire pour les premiers secours, des dispensaires itinérants, qui eux sont fixés certains jours de la semaine près des lieux de distribution de nourriture et de vêtements, mais aussi des centres de soins pour accueillir les personnes dans des états plus graves”, explique Patrick Fievet.
Le Gouvernement Français nous finance, mais cela ne suffit plus.
De plus, le gouvernement français fait lui aussi de son mieux pour soutenir les équipes médicales et les associations, bien que cela ne soit apparemment pas suffisant : “Ils nous financent et nous déploient dans toutes la France. Une aide économique aussi bien pour les professionnels que pour les associations, mais cela ne suffit plus. La précarité accroît et le personnel médical se fait de plus en plus rare” explique François Fievet. Malgré tout, “l’armée de l’ombre” continue son combat : “C’est surtout grâce à leur aide que nous pouvons intervenir sur place et savoir vers qui aller. Sans ces associations, notre travail ne serait pas possible”, souligne le médecin psychiatre.
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