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Édito d'Adrien Louandre - Définir la colère

RCF, le 31 octobre 2022 - Modifié le 17 juillet 2023
Le point de vue de 7h20Édito d'Adrien Louandre - Définir la colère

Plus de 600 fois, dans le Premier Testament, mais pas seulement, Dieu, se met “en colère”. Jésus aussi d’ailleurs, contre les marchands du Temple (Matthieu 21, Jean 2). Il n’a pas hésité à traiter les pharisiens de “race de vipères” face aux injustices qu’ils commettaient. Mais ne nous a-t-on point appris que la colère (surtout pour les jeunes filles d’ailleurs) constituée un “péché” c’est-à-dire un mauvais chemin pour être en présence de Dieu et en gros qu’il fallait aimer tout le monde et se taire ? Si, bien souvent hélas et ainsi, nous avons réprimé notre colère intérieure pour les besoins de la vie en société, pour avoir l’approbation des autres. Pour beaucoup, et les dépressions viennent de là en partie, nous avons retourné nos colères contre nous-mêmes. 

Adrien Louandre ©DRAdrien Louandre ©DR

Pourtant, les Grecs distinguaient trois termes pour exprimer les colères : (il ne s’agit pas de les retenir, mais de savoir qu’il y a des nuances).  

 

  • La colère thymos qui pourrait être traduit plutôt par “la rage” qui consiste à s’emporter avec fureur comme Hérode à Bethléem. 
  • La colère makrothumia, qui est la colère longue à exploser et qui en attendant est tapie en nous-mêmes. 
  • La colère orgè, celle de la justice, face au péché justement ou aux pharisiens. 

 

Tant de psys le disent, si la colère n’est pas exprimée sainement, orgè, elle reste en nous : et comment créer des relations avec autrui et avec nous-mêmes si nous sommes en colère ? Eh quoi, cela voudrait dire que l’on devrait également se taire face aux injustices ? ça n’a pas de sens. 

 

Qu’apporte cette nuance dans la vie publique ? 

 

Que lorsque Total fait 6,6 milliards de superprofits grâce à des projets destructeurs pour le climat, la biodiversité et les plus pauvres, nous avons le droit d’être en colère. Mais non, l’expression personnelle et politique d’une colère ne peut être celle de l’explosion de rage, de la colère “thymos”. La démocratie consiste justement à créer un cadre collectif d’expression de la colère et des désaccords afin de les apaiser. En matière écologique et sociale par exemple, sans colère, sans indignation, il n’y a pas d’avancées comme il y en a plusieurs dernièrement. Sans cette colère de justice, pas de sécurité sociale, et de services publics. Sans la colère, pas de manifs pour le climat et bien peu d’actions de solidarité sur le terrain. Sans colère, il est donc difficile de vivre la devise républicaine de Liberté, d’Égalité et de Fraternité. Dans l’Église aussi, nous pourrions penser à bien des choses.

 

 

Au débat de l’entre-deux-tours en 2007, Ségolène Royal exprime une colère “orgè” sur une question liée au handicap que Nicolas Sarkozy réussit à tourner en colère thymos. Celle-ci dit “je ne me calmerai pas, je suis en colère orgè”, alors que Nicolas Sarkozy lui rétorque “on ne peut pas être chef d’état si l’on se met en colère thymos”. 

 

 

Les colères de rage, thymos, et larvée, makrothumia sont destructrices. Mal exprimées, mal canalisées, mal orientées, vécues seules, elles ne peuvent participer à un processus de construction personnelle ou politique. Au contraire, la colère orgè peut constituer une sève pour nos engagements. C’est cette colère qui fait prendre bien des risques à tant de militants écologistes ou syndicaux. 

 

 

En ce début de semaine, cher auditeur, chère auditrice, osons trouver légitimes nos colères, transformer nos frustrations en énergie, osons être pleinement, tout simplement humains.

 

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