Les retraités, grands gagnants du projet de loi sur les retraites présenté par le gouvernement ? Derrière ce soupçon, il y a le risque d’une fracture générationnelle qu’il est urgent de ne pas réactiver.
Salauds de vieux ! Vous l’entendez aussi, vous, cette rengaine qui monte ? Pour certains, l’affaire est entendue : puisque le projet de loi se concentre sur le report de l’âge légal de départ, et donc que les seniors ne sont pas concernés par les efforts demandés, c’est que les retraités actuels seront les grands gagnants du dispositif… sur le dos des actifs. Derrière cette idée, le gouvernement est soupçonné de vouloir préserver le cœur de son électorat. Et tant pis pour les autres !
Sans juger des intentions, il faut bien reconnaître que le constat n’est pas faux. Les retraités d’aujourd’hui, qui ont dans l’ensemble bénéficié de bonnes carrières, de la hausse des prix de l’immobilier et pu quitter plus tôt la vie active, ne sont pas concernés par la réforme.
Alors, bien entendu, les moyennes cachent les contrastes, et les inégalités n’ont pas d’âge. Mais le fait est que le niveau de vie médian des retraités est légèrement supérieur à celui de la population active. Et que le taux de pauvreté est désormais bien plus important chez les jeunes qu’à l’autre bout de la pyramide des âges.
Ajoutez à cela les sacrifices exigés durant la pandémie de 2020 pour protéger les plus fragiles, ou encore cette dramatique crise écologique qui assombrit tant l’avenir sur la planète, et vous avez tous les ingrédients pour envenimer le ressentiment d’une génération, qui a l’impression d’avoir été sacrifiée pour le bien-être d’une autre…
Absolument pas, et pour faire bonne mesure il faudrait citer cette autre rengaine qui monte : Salauds de jeunes ! Oui, on entend aussi des aînés s’agacer de voir manifester des étudiants et lycéens, « déjà fatigués avant d’avoir commencé à travailler », déconsidérer le tout-numérique ou dénoncer la radicalité d’une classe d’âge qui tend de plus à plus à confier ses colères aux extrêmes.
Vous me direz que l’incompréhension entre générations n’est pas une nouveauté. Ce qui l’est un peu plus, c’est le niveau d’amertume qu’on observe aujourd’hui.
Alors, le présent contre l’avenir, ou l’avenir contre le présent ? Gardons-nous de succomber à une lecture simpliste. Car les inégalités persistent surtout à travers de nombreuses disparités qui ne font que les aggraver : milieu social, santé, différences entre hommes et femmes, etc.
Ce sont surtout les perspectives qui ont de quoi inquiéter. Prenez les récents scandales autour de la gestion honteuse des Ehpad : ils ont aussi montré que la société était prompte à tourner le dos à ses aînés quand la dépendance s’invite dans l’équation. Et on peut douter que le débat sur la légalisation de l’euthanasie offre demain une meilleure prise en charge, quand la facilité, économique et sociale, sera peut-être de pousser les personnes vers la sortie…
Voilà pourquoi il faut absolument refuser ce conflit générationnel que certains se complaisent à réactiver.
Non, et ce n’est pas un hasard si elle est très largement impopulaire. Raison de plus pour examiner toutes les autres solutions qui existent : il y a en effet bien des manières de faire contribuer chacun à une meilleure répartition des richesses, à hauteur de ses moyens ou de son patrimoine (surtout quand ils sont hauts), dans un souci de justice et d’équité.
Si la réforme ne les explore pas, ces questions – de même que cet impensé total qu’est devenue la politique familiale – ne pourront que revenir plus tard dans le débat. Reste qu’une fois que nous en aurons (temporairement) fini avec les retraites, une urgence absolue doit s’imposer : redonner enfin des chances et des perspectives à la jeunesse de notre pays. Car le salut des seniors passe par le salut des plus jeunes. Et réciproquement.
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