En ce lendemain de l’Ascension, j’avais envie de revenir sur cette parole dans l’évangile d’aujourd’hui : "Votre joie, personne ne vous l’enlèvera." Comme souvent, Jésus a le chic pour nous renvoyer la tête à l’envers avec ses punchlines ! Comme exemple, il donne celui de la femme qui accouche et qui, quand l’enfant est né, ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. 2000 ans plus tard cette parole continue à faire écho dans le cœur de beaucoup de mères. Même si on n’oublie pas, surtout si ça se passe mal, oui il y a bien sûr, une joie qui perdure. Au-delà de cet exemple-là, je crois que nous savons tous qu’il y une joie profonde, durable, que rien n’enlève. Pas même l’épreuve. Et cette joie, nous l’avons tous déjà entrevu dans notre vie.
Je me souviens d’un petit déjeuner, il y a quelques années, nous étions tous silencieux. J’étais déjà dans mes pensées, ma to do list et mes soucis. Mon fils, qui devait avoir six ans, a fini par rompre le silence avec cette parole simple et transformante: "Non. Pas de joie. Il n’y a pas de joie ici." Je l’ai regardé, et j’ai pris conscience que oui, certes, je sais et je crois qu’il y a une joie que personne ne peut nous enlever. Mais qu’il ne faut pas oublier d’apprendre à lui laisser sa place, y compris et surtout dans la banalité du quotidien. Car personne ne nous l’enlève, hormis nous-mêmes. Au fond, comme pour l’émerveillement et l’espérance, la joie est une forme d’acte de résistance intérieure.
Parmi les besoins fondamentaux de notre temps, je crois qu’il y a celui-là : réapprendre à cultiver la joie. À lui laisser la place quand elle frappe à la porte. La joie évidemment ne se décrète pas, ne se commande pas, mais on a le pouvoir de créer le terreau qui lui sera favorable, par notre disposition intérieure, notre attention, notre qualité de présence, notre consentement au réel, notre persévérance dans l’effort.
On croit souvent que pour que naisse la joie, il faut que tout aille bien. Qu’il n’y ait plus ni mal ni malheur. C’est un leurre. Et le meilleur moyen de ne jamais la recevoir. La joie n’est pas seulement liée à ce qu’on est en train de vivre. Mais de vivre. D’exister. Elle est quelque chose de plus qui se rencontre parfois au cœur même de la misère et de la croix. Ce n’est pas l’épreuve qui donne de la joie ou du sens à la vie, mais c’est la vie qui est si profonde et qui a tellement de sens qu’elle peut en donner même à l’épreuve et aux difficultés.
Pour Gustave Thibon, que j’aime beaucoup, "toute ascension se nourrit d’une douleur dépassée. Monter, c’est surmonter." Pour lui "la noblesse de l’individu se reconnait peut-être avant tout à l’hésitation et à la délicatesse avec lesquelles il cueille les joies qui s’offrent à lui. L’homme noble est celui que la souffrance rend tendre et que le bonheur fait prier."
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